A STRANGER’S HAND, Gideon Rubin en conversation avec Roman Hossein Khonsari

A STRANGER’S HAND, Gideon Rubin en conversation avec Roman Hossein Khonsari

«…Ici, au contraire, le visage est sens à lui. Toi, c’est toi. En ce sens, on peut dire que le visage n’est pas « vue ». Il est ce qui ne peut devenir un contenu, que votre pensée embrasserait ; il est l’incontenable, il vous mène au-delà…» (Emmanuel Levinas)

Des manifestants à Hong Kong aux spectateurs du film Joker, qui met en scène une révolte urbaine menée par un clown grimaçant, le visage devient une question importante d’engagement politique et social, d’identification et de reconnaissance. Les États et les grandes entreprises qui collectent des données informatiques sont intéressés par cette reconnaissance faciale que certains citoyens refusent, pour qui se couvrir le visage avec un masque est une manière de préserver leur liberté. Mais que reste-t-il de leur identité derrière ces visages cachés ?

Projeter une identité sur des visages supprimés est un sujet commun dans le travail de Gideon Rubin ainsi que dans la pratique quotidienne du Dr. Roman Hossein Khonsari en tant que chirurgien maxillo-facial, reconstruisant des visages perdus à la suite d’accidents ou de maladies.

Tous deux sont des artisans de souvenirs sans visage, maîtrisant des compétences manuelles exceptionnelles, l’un au pinceau, l’autre au scalpel, et se confrontant constamment à la question de l’histoire, des souvenirs, des traces de vie, des identités derrière ces visages sans traits.

Cette conversation entre l’artiste et le chirurgien, imaginée et orchestrée par Anahita Vessier, est un échange interdisciplinaire invitant le public à se plonger plus profondément dans le travail de Gideon Rubin dans le cadre de son exposition « A Stranger’s Hand » à la Galerie Karsten Greve à Paris et à découvrir des recoins encore inexplorés de son univers artistique à travers l’approche de Dr. Khonsari en tant que scientifique des sciences humaines.

Credits :
Photos par Flaminia Reposi
Vidéo par Alban Jadas pour Galerie Karsten Greve
Texte : Anahita Vessier
hhttps://www.gideonrubin.com

Share this post

POUREA ALIMIRZAEE, Masculinité fragile

POUREA ALIMIRZAEE, Masculinité fragile

Toujours dans sa dernière année à l’Académie des Beaux-Arts de Vienne, le nom de Pourea Alimirzaee circule déjà parmi les collectionneurs d’art.

Originaire d’Iran, Pourea traite dans son travail exclusivement le sujet de la masculinité fragile, également appelée masculinité toxique. Il a créé ce personnage, un être humain entre femme et homme, qui ressemble beaucoup au jeune artiste aux cheveux longs. Des autoportraits? « Oui, bien sûr, il y a des similitudes », répond-il avec un rire et une confiance en soi et ajoute: « En tant que spectateur, vous devez vous en occuper, soit cela vous dérange, soit vous vous sentez attiré ».

Comment es-tu entrée dans les arts ?

J’ai initialement étudié l’ingénierie informatique à Téhéran, mais j’ai toujours dessiné. Je ne savais tout simplement pas à ce moment-là que je continuerai dans l’art.

Alors, comment es-tu venu à Vienne pour étudier l’art ?

J’avais besoin d’un changement à un moment de ma vie, un nouveau défi. A cette époque, je jouais de la basse en groupe en Iran. Donc, un jour, j’ai rencontré un de mes amis dans la rue qui m’a dit d’essayer l’examen pour le Conservatoire de Vienne. Je l’ai fait… et quelques mois plus tard, je me suis retrouvé à Vienne pour étudier la basse au conservatoire. Mais la façon dont ils enseignaient la musique était trop conservatrice pour moi, j’ai donc décidé de postuler à l’Académie des Beaux-Arts en 2015 en peinture figurative avec Kirsi Mikkola. Et je suis entré !

En regardant tes toiles, il y a toujours ce personnage avec ces cheveux longs fixés dans cet environnement onirique…

Oui, je travaille en fait sur le sujet de la « masculinité toxique » ou de la « masculinité fragile » qui fait référence à certaines normes masculines culturelles, traditionnelles et stéréotypées qui peuvent nuire aux hommes, aux femmes et à la société en général. Cela évoque également la position des hommes qui se comportent de manière féminine mais qui ne sont pas homosexuels.

J’ai lutté toute ma vie avec ce genre de stéréotypes et de société qui vous dit de jouer ce rôle d’être un « vrai homme ».

Donc, quand je suis arrivé à Vienne, j’ai commencé à explorer davantage ce sentiment que j’avais et à faire plus de recherches sur la « masculinité toxique / fragile ». C’est une tendance qui a commencé il y a environ quatre ans, alors j’ai pensé qu’il était temps d’en parler.

Dans ce cas, ces portraits dans tes peintures sont-ils en fait des autoportraits ?

Bien sûr, il y a des similitudes !
J’ai créé ce personnage où vous ne savez pas si c’est un homme ou une femme aux cheveux longs. Les cheveux longs sont normalement un symbole très féminin, et ici vous avez ce mec debout sur cette photo essayant d’être confiant, juste être soi-même. En tant que spectateur, vous devez y faire face, que vous vous sentiez dérangé ou intrigué.

Et en tant que musicien, de la musique quand tu peins ?

Oui, la bande originale du film « Rashomon » de Kurosawa encore et encore. C’est fantastique ! Elle m’amène dans une sorte d’état d’esprit spirituel.

Credits:
Photos : Anahita Vessier
Photo de couverture : Navid Moaddeb
Texte: Anahita Vessier
Pourea Alimirzaee Instagram

Share this post

RANA BEGUM, Lumière, couleur et forme

RANA BEGUM, Lumière, couleur et forme

L’artiste anglo-bangladaise Rana Begum a déménagé du Bangladesh en Angleterre à l’âge de huit ans, sans parler un mot d’anglais. Elle a choisi dès ce moment l’art comme son mode de communication. Cette envie permanente de créer l’a amenée à devenir l’une des étoiles montantes de la scène artistique internationale.

Elle a dit un jour à propos de sa pratique: « Le besoin de créer est toujours là. J’ai pris un itinéraire visuel. Ce n’est pas nécessairement celui que les gens comprennent toujours, mais j’en suis contente. Même si parfois, je ne sais pas trop où je vais, je suis confiante que cette route me mène quelque part. »

Comment es-tu entrée dans les arts ?

Je suis arrivé en Angleterre en 1985. Je ne parlais pas un mot d’anglais, donc quand j’ai commencé l’école, c’était vraiment difficile – j’ai passé la majeure partie de ma première journée à m’ennuyer et à essayer de ne pas m’endormir ! Le lendemain, mon professeur m’a donné des crayons de couleur et du papier. Soudain, j’ai eu un moyen de communiquer. Je dessinais constamment et toutes mes photos montaient sur le mur.

Cela m’a donné un lien si positif avec l’art dès mon jeune âge.

Devenir artiste a donc été un véritable défi pour toi.

Oui, je pense que c’est juste de le dire ! Étant à la fois une femme et une musulmane, j’ai dû travailler très dur pour que ni l’une ni l’autre de ces choses ne définisse mon travail ou la façon dont il est perçu. Mais je ne me suis pas rendue les choses faciles.

J’ai commencé comme une artiste figurative qui était en conflit avec les croyances religieuses de ma famille mais, grâce au soutien de ma directrice et de mon oncle, ils ont fait le tour.

Tout cela fait partie du voyage qui m’a amené là où je suis aujourd’hui.

La lumière, la couleur et la répétition sont très importantes dans ton travail. Quel est le lien avec ton enfance au Bangladesh où tu as grandi jusqu’à tes huit ans ?

Oui, c’est assez étrange parce que, pendant longtemps, je ne me suis pas senti du tout lié à mon expérience d’enfant au Bangladesh.

Ce n’est que lorsque j’étais en thérapie analytique cognitive, un moyen de redécouvrir les souvenirs, que j’ai pu découvrir pourquoi j’ai fait certaines choses quand j’étais enfant au Bangladesh et comment elles ont influencé mon travail plus tard. Je crois vraiment que les choses arrivent pour une raison !

Par exemple, je regardais dans les rizières et ces images sont extrêmement vives. Je me souviens de la répétitivité, de l’eau, du vent, du mouvement et de la lumière se reflétant sur l’eau. Je me souviens qu’on m’avait beaucoup dit de s’asseoir et de regarder. À l’époque, je ne sais pas pourquoi je le faisais.

Mais maintenant, ces couleurs et ces formes se manifestent dans mon travail, comme si elles s’imprimaient d’une manière ou d’une autre dans mon esprit d’enfant.

Les couleurs sont très importantes pour moi. J’ai grandi en regardant des films de Bollywood et j’ai vraiment adoré leur dynamisme.

De plus, mon amour pour la répétition vient de mon éducation religieuse. J’ai grandi en lisant le Coran et en priant cinq fois par jour. La routine de la prière ainsi que les mouvements que vous faites lorsque vous priez ont insufflé cette répétition qui imprègne à jamais mon travail.

Ces trois choses, les couleurs, la lumière et la forme sont comme un triangle qui a façonné ma pratique.

Et comment as-tu ressenti ton retour au Bangladesh en tant qu’artiste en 2014 pour exposer au Dhaka Art Summit ? As-tu été nerveuse ?

J’étais vraiment nerveuse, c’était vraiment une grosse affaire ! Je savais que je retournerais un jour au Bangladesh mais je ne pensais pas que je retournerais exposer. C’était à peu près au moment où j’étais en thérapie et j’avais découvert d’autres souvenirs d’enfance. Il a paru particulièrement approprié car le brief a été d’utiliser des matériaux produits localement. En grandissant, j’avais une amie de la famille qui s’occupait de moi et elle tissait des paniers. Je voulais intégrer cette mémoire d’enfance alors j’ai pensé pourquoi ne pas créer une structure avec une formation de panier.

Quand j’étais enfant, je me rendais à la mosquée tôt le matin pour lire le Coran. La mosquée elle-même était très simple avec une fontaine en face qui a depuis été démolie. Je me souviens de la salle remplie de gens récitant le Coran. Il y avait le son des voix à côté de celui des pages qui tournaient avec la lumière du soleil à travers la fenêtre. Ce fut un fort moment multi-sensoriel de lumière et de son. C’est ce que je voulais recréer au Dhaka Art Summit, une expérience intense mais calme et méditative.

Un autre moment fort de mon retour au Bangladesh a été que j’ai rencontré Ziba de l’Unité des parasols à Dhaka.

Ce fut une rencontre très importante dans ta carrière.

La rencontre avec Ziba a été un moment très spécial dans ma carrière. Elle m’a donné une incroyable opportunité d’avoir une exposition solo à Parasol Unit à Londres.

Grâce à son travail de commissaire, j’ai pu créer un récit qui m’a aidé à comprendre d’où venait mon travail, à accéder à ma position à l’époque et à me faire savoir que j’allais dans la bonne direction. Ce spectacle m’a vraiment donné la confiance dont j’avais besoin.

En tant qu’artiste, penses-tu qu’il est important de laisser de la place aux accidents et de lâcher prise parfois ?

Il faut ! Sinon, tu produiras les mêmes choses encore et encore. Chaque accident est spécial et doit conduire à autre chose. Ce pourrait être le moindre détail auquel la prochaine œuvre d’art répond.

Une grande partie de mon travail découle de rencontres fortuites – le jeu de la lumière sur un mur ou l’expérimentation d’un nouveau matériau. Je pense qu’il est essentiel de maintenir un niveau de curiosité et de liberté lors de la création de travail.

Et quand tu regardes une œuvre d’art finie, arrive-t-il que tu ne sois pas satisfaite du résultat ?

Parfois oui et c’est là que je le laisse tranquille un moment et que j’y reviendrai. Il y a des moments où je ne veux pas abandonner les travaux. Cependant, pour moi, il est plus important que le travail sorte une fois terminé et puisse interagir avec les téléspectateurs et son environnement. Parce que des facteurs temporels tels que la lumière jouent un rôle si crucial dans mon travail, vous ne pouvez jamais vraiment dire qu’un travail est terminé car il prendra une variété d’états nouveaux et inattendus selon l’heure de la journée, différentes densités de lumière, etc.

C’est pourquoi j’aime l’art public. Vous pouvez repousser les limites auxquelles vous ne pourriez pas vous attaquer en studio.

Un endroit public où tu rêves d’avoir une de tes œuvres d’art ?

Dia Art Foundation !

Et qu’en est-il des collaborations ?

J’adore collaborer avec des gens de différentes disciplines car il y a des choses à explorer auxquelles tu n’aurais peut-être pas pensé.

Pour moi, il est essentiel d’être ouvert aux conversations et aux critiques. C’est la seule façon de continuer à grandir et à apprendre.

Est-ce que ça a été toujours facile pour toi de parler de l’Islam ?

C’était une des choses qui m’a été très difficile pendant longtemps parce que je ne voulais pas être coincée, poussée dans une certaine direction. Je ne voulais pas que mon sexe, ma religion ou ma culture soit un problème. Il était impératif pour moi de ne pas me concentrer sur ces choses et la peinture m’a offert la liberté dont j’avais besoin. Maintenant, je n’ai plus de problème à parler des influences.

Quelle est ta première pensée lorsque tu penses à l’Iran?

C’est un endroit où j’adorerais aller… la géométrie, la couleur et les plats délicieux me viennent à l’esprit !

Credits :
Toutes les photos de Rana Begum dans son studio par Philip White
Couverture : photo par Josh Murffit
Texte : Anahita Vessier
Traduction : Anahita Vessier
https://www.ranabegum.com

Share this post

ESTELLE HANANIA, Ambiguïté de la beauté

ESTELLE HANANIA, Ambiguïté de la beauté

Estelle Hanania joue constamment dans ses photos avec une forme d’ambiguïté intrigante mélangeant le brut avec le doux, le magique avec le réel, l’ordinaire avec l’extravagant.

Elle a gagné le prix de photo au Festival de Hyères en 2006, et depuis son travail peut être vu dans les magazines de mode les plus renommés et des clients prestigieux comme Hermès ont collaboré avec elle lui offrant carte blanche.

Diplômé des Beaux-Arts de Paris, tu as gagné le prix de photo au Festival de Hyères en 2006. Pourquoi est-ce que tu as finalement choisi la photographie comme moyen d’expression ?

Pendant mes études d’Arts Appliqués et aux Beaux-Arts j’ai toujours beaucoup utilisé la photo. Mais le vrai déclencheur est venu quand j’ai rencontré la photographe française Camille Vivier. Elle est fantastique et ses photos de mode ont quelque chose de très libre. Son travail m’a encouragé à devenir photographe sans renoncer à ma liberté artistique et à mes exigences.

Je suis quelqu’un plutôt instinctive, mes photos sont comme des visions, des formes différentes composées dans un cadre. J’adore la lumière plate des vieux films de l’Europe de l’est.

Il y a aussi une dimension psychologique dans mon travail. Qui est la personne que je prends en photo ? Qu’est-ce que je veux en particulier révéler dans mes photos ?

Dans ton livre « Glacial Jubilé » tu as réuni 6 ans de travail sur la culture païenne et les rituels hivernaux en Europe de l’Est. Qu’est-ce qui te fascine autant dans ces rituels ancestraux?

Je suis un grand fan de l’art brut, l’art fait par des autodidactes. Il y a quelque chose de très spontané dans ce genre de création, quelque chose d’utilitaire, de décoratif, de naïf.

Il y a 10 ans, j’ai vu l’exposition « L’Esprit de la Foret » et il y avait dans le catalogue l’image d’un masque qui m’a intriguée en particulier. J’ai fait des recherches et finalement j’ai trouvé le petite village en Suisse d’ou elle venait. J’ai décidé d’y aller et prendre des photos de la célébration de solstice d’hiver. Depuis lors, je continue à prendre des photos de ce genre de rituels de solstice d’hiver en Bulgarie, en Autriche, en Suisse, et aux Pays Basque.

« Ce qui est fascinant pour moi dans ce thème est que pendant ces célébrations les gens ordinaires deviennent des performeurs, quelqu’un d’autre, ils sortent de leur peau pour revenir plus calme et purifié. C’est une sorte d’exorcisme. »

Cependant mes photos sont moins précises qu’une recherche anthropologique. J’aime garder une part de mystère.

Des Masques, des costumes, des dessins sur des corps, des visages peints sont des thèmes qui reviennent constamment dans ton travail. Dans ton livre « Happy Purim » tu as pris en photos des enfants déguisés qui célèbrent la fête de Pourim. 

D’où vient cette obsession pour les déguisements, les masques ? 

J’ai pris la série de photos de « Happy Pourim » à Stanford Hill, un quartier juif ultra-orthodoxe dans le Nord de Londres. Je suis déjà y allée plusieurs fois pour prendre ces enfants en photo qui fêtent le Pourim et qui se déguisent avec les costumes les plus étranges.

Ces photos sont une combinaison de ma fascination pour les masques, pour se déguiser, de changer de peau, de sortir de soi-même ; et de mon intérêt pour le côté fratrie.

J’ai une sœur jumelle, il y a une raison personnelle derrière cette fascination pour les frères et sœurs qui se ressemblent et qui s’habillent pareil. Cette ressemblance peut être vue comme ‘creepy‘ mais ça peut aussi être drôle. Cela dépend de la perception personnelle de chacun.

Mise à part l’approche anthropologique dans ton travail de photographe, tu travailles aussi sur des photos de mode pour des magazines comme le M Magazine, Another Magazine, Wallstreet Journal, Pop, Dazed and Confused ou clients comme Martin Margiela, Miyake ou Hermès. Est-ce que la mode t’inspire ?

Avec ma sœur Marion, nous nous sommes toujours intéressées à la mode. Nous achetions tous les magazines de mode et nous connaissions tout sur chaque designer et photographe de mode.

Notre mère dessinait et peignait énormément, elle nous a transmis la passion pour l’art et le faut d’être créative. Ma grand-mère faisait beaucoup la couture et nous a transmis l’amour pour le travail manuel.

« Pour moi la mode est très inspirante, les robes et les accessoires sont comme des objets. Elle permet de créer des caractères, de raconter de histoires. « 

Je suis aussi intéressée par tout ce qui touche au corps humain et à la façon dont il peut être présenté. La photographie de mode est une occasion idéale pour exprimer cet aspect.

Est-ce que tu préfères travailler seule ou est-ce que tu aimes les collaborations avec d’autres artistes et mélanger les différents moyens d’expression artistique ? Un très bon exemple pour repousser les frontières fut notamment ta collaboration avec l’artiste français Christophe Brunnquell. 

J’adore travailler avec Christophe. Nous nous sommes rencontrés à Berlin et nous avons organisé ensemble un shooting pour le magazine « Sang Bleu » avec un casting de plusieurs danseurs. Pendant 8 à 9 heures nous avons improvisé et nous nous sommes laissés guider par notre créativité.

« Collaborer avec Christophe Brunnquell est extraordinaire, presque comme une performance. »

C’est une fusion de son travail et du mien, qui permet de laisser derrière nous toutes les contraintes de notre processus de création habituel et de créer quelque chose de nouveau ensemble mais sans savoir en amont quel résultat nous allons éteindre. Christophe pousse constamment ses limites, casse les frontières, moi, je suis plus attentive, plus focus sur le mannequin que je suis en train de prendre en photo.

Mais il y aussi d’autres artistes que j’admire et avec lesquels j’aimerais collaborer, par exemple le réalisateur Czech Jan Svankmajer, l’artiste Corentin Grossman ou le fleuriste Thierry Boutemy.

Tu joues constamment avec une certaine forme d’ambiguïté dans tes photos ce qui crée une ambiance très intense et intrigante, et qui peut même parfois être assez dérangeante. Est-ce que c’est le sentiment que tu essaies d’évoquer dans ton travail ?

J’ai toujours détester d’être catégorisée, la fille blonde, mignonne, gentille. Nous avons tous notre côté obscur. Nous représentons une certain image mais il y a beaucoup plus derrière.

« Dans mes photos des rituels de solstice d’hiver je montre ce côté obscure qui amène à la fin à la purification, au nettoyage d’esprit. »

Est-ce qu’il y a des films de ton enfance qui ont inspiré ta vision artistique ?

Il y en a beaucoup, « Le Magicien d’Oz », « La Mélodie du bonheur », « L’histoire sans fin ».

Dans « La Mélodie du bonheur », j’aime l’histoire autour de la fratrie qui s’habille pareil.

Dans « Le Magicien d’Oz » et « L’histoire sans fin », les deux histoires commencent dans un monde ordinaire et bouscule soudainement dans un monde étrange et fantastique.

C’est exactement ce que j’essaie d’obtenir dans mes photos. Ces films ont définitivement influencé mon travail.

Qu’est-ce qui te vient à l’esprit quand tu penses à l’Iran ?

Je pense à mon ami Payam et à son collectif d’artiste « Slavs and Tatars ». C’est lui qui m’a introduit à la culture iranienne.

Credits:
Toutes les photos par Estelle Hanania
Texte: Anahita Vessier
http://www.estellehanania.com/

Share this post

GEORGIA RUSSELL, Fenêtre sur la nature sauvage

GEORGIA RUSSELL, Fenêtre sur la nature sauvage

Observer Georgia Russell travailler sur ses tableaux est extrêmement fascinant. Originaire d’Elgin en Ecosse, ses oeuvres sont impressionnantes et rappellent les vastes prairies des Highlands bougeant dans le vent avec leurs couleurs, mouvements et luminosité. Equipée d’un scalpel elle coupe des rayures et des ornements sur plusieurs couches de papier et de toile ce qui crée un effet tridimensionnel. Ses pièces ressemblent à des fenêtres couvertes par des plantes qui laissent passer la lumière par endroit et permets d’entrevoir des parties d’architecture.

Aujourd’hui Georgia vit et travaille près de Paris avec son mari l’artiste vénézuélien Raul Illarramendi et leur deux enfants. Son oeuvre est présentée dans des expositions en France et à l’étranger et se trouve dans des collections privées et publiques, comme par exemple au Centre George Pompidou.

D’origine écossaise tu vis et travailles près de Paris, à Méru, après avoir été diplômée de la fameuse Royal College of Art à Londres. Pourquoi ce déménagement en France ?

Pendant mes études au Royal College j’ai été en résidence d’artiste à la Cité des Arts Internationale à Paris afin de faire des recherches pour mon projet sur des livres découpés. Donc c’était évident d’y retourner après le master.

Il y a longtemps ! Maintenant tu es une artiste renommée avec beaucoup de succès. Tu présentes en ce moment  ton nouveau travail à la Galerie Karsten Greve à Paris. Quelle était ton inspiration derrière cette exposition sous le titre « Paintings » ? 

Mon nouveau travail montre ce saut  des pièces enfermées sous verre de plexiglas aux oeuvres peintes sur la toile.

J’avais envie de travailler des surfaces plus larges et de voir ce que c’est de créer de vrais tableaux.

Récemment je me suis inspirée du travail de Helen Frankenthaler et de son usage du recto verso d’une toile ainsi que  par les compositions verticales de Clyfford Still.

Les tableaux se transforment presque en sculpture. Tu découpes des ornements ou de fines lignes avec un scalpel pour les reconstruire après en les superposant les unes sur les autres, les enlaçant l’une dans l’autre ce qui crée un effet tridimensionnel et un mouvement extraordinaire. Peux tu m’expliquer un peu plus ce concept de la «  destruction créative »?

Je ne le vois pas comme une destruction mais plutôt comme une reconstruction. Je suis très intéressée à l’idée que quelque chose a changé et que ce changement soit irréversible.

Lorsqu’on réalise que quelque chose nous manque, n’est plus, des choses très émotionnelles se passent en nous,  ce ne sont pas forcement des sentiments de perte mais aussi de liberté ou de soulagement.

Dans ton travail il y a toujours ce geste répétitif que tu appliques d’une manière méticuleuse. Comment tu te sens dans ces moments de concentration absolue pendant des heures, jours, semaines quand tu travailles sur une œuvre ? 

Ces mouvements ne me paraissent pas répétitifs car chaque geste, chaque trait est différent. J’adore être à 100% concentrée sur une oeuvre. Dans ces moments,  j’oublie complètement le monde autour de moi et je pense seulement au jeu de formes, aux couleurs, du recto verso, du négatif à côte du positif, aux mouvements.

Ce mouvement très particulier dans tes oeuvres me fait penser à des chorégraphies de danse moderne. Isadora Duncan disait: « Tu es née sauvage, ne te laisse pas dompter. » Que penses tu de cette citation?

J’adore cette citation ! Je devrais m’en rappeler tous les jours.

Ton mari est l’artiste vénézuélien Raul Illarramendi. Est-ce que tu lui demandes parfois des conseils?

Oui, quand nous avons du temps ! Nos journées de travail sont très remplies et passent très vite. Mais quand j’ai un vrai souci ou des doutes, j’aime en discuter avec lui.

Et quand tu as le temps tu visites certainement parfois des musées ou des expositions. Et si tu étais enfermée pendant une nuit au Louvre ! Dans quelle section passerais tu le plus de temps ?

Normalement je vais toujours dans la partie des tableaux mais récemment j’ai visité le département sur les antiquités des Assyriens et j’ai découvert ces oeuvres monumentales des créatures à têtes humaines avec corps de taureaux et des ailes d’aigles. On les appelle Lammasus ou Shedu. Leur symbolisme et histoire me fascinent.

Qu’est-ce qui travers ton esprit, quand tu penses à l’Iran ?

Je pense surtout à l‘artiste Shirin Neshat.

Credits:
Photos par Anahita Vessier
Texte: Anahita Vessier
Traduction: Anahita Vessier

Share this post

RAUL ILLARRAMENDI, Dessiner les traces du temps

RAUL ILLARRAMENDI, Dessiner les traces du temps

Dès qu’on entre dans le studio de Raul Illarramendi, on sent l’énergie dynamique et creative de cet artiste vénézuélien. Après avoir quitté le Venezuela il y a 18 ans, il retrouve ses racines avec sa dernière oeuvre. Fasciné par les traces du temps et leurs identités, il s’intéresse dans son exposition actuelle « Offerings » à l’histoire de la croix qui est tombée du toit de la cathédrale de Caracas pendant le tremblement de terre en 1967. Il a reproduit minutieusement les empreintes de la croix dans le bitume et impressionne le spectateur avec sa maîtrise exceptionnelle du dessin qu’il applique sur ses tableaux.

Raul Illarramendi a beaucoup voyagé avant de s’installer près de Paris ou il vit et travaille maintenant avec sa femme, l’artiste Georgia Russell et leurs deux enfants. Ses oeuvres sont présentés régulièrement dans des expositions en groupe ou seul en Europe, Amérique Latine et aux Etats Unis.

Tu viens du Venezuela ou tu as commencé ton parcours initiatique artistique en tant qu’assistant du peintre Felix Perdomo à Caracas. Après avoir continué tes études à Evansville aux Etats Unis, tu as enchainé avec une maitrise en art visuel à l’Université Jean Monnet à Saint Etienne en France. Aujourd’hui tu vis et travailles près de Paris, à Méru, avec ta compagne,  l’artiste écossaise Georgia Russell et vos deux enfants. 

Quel parcours généré par ta passion pour l’art !
Qu’as tu appris de chaque pays sur sa vision de l’art ? 

Même si j’ai vécu à chaque fois pendant une longue période dans un pays, je me considère pas comme quelqu’un qui a beaucoup voyagé. Oui, j’était dans différents pays mais mon travail m’a toujours fixé à un endroit pendant longtemps comme une ancre.

« J’aime absorber l’identité d’un lieu et ça prend du temps. Je pense que les artistes sont souvent occupés d’abord avec ce qui se passe à l’intérieur d’eux-mêmes avant d’observer la vie autour d’eux. »

Chaque endroit, chaque atelier est lié à des expériences différentes et m’a appris des leçons ce qui a finalement formé ma propre identité d’artiste, une qui porte mes propre traces d’histoire.

Les traces de vie sont des éléments importants dans ton travail, symbolisées par des traces de poussières, de saleté, des traces de doigts sur des murs, sur les portes ou dans un environnement urbain, ces traces qu’on préfère plutôt effacer et nettoyer ou de ne pas montrer, tu les reproduis à ta manière minutieusement avec tous ses détails.

Oui, mais l’ensemble de la composition est aussi important que le détail. Peut-être c’est ma faute quand la surface que je reproduis attire trop le spectateur vers l’observation du détail. Chaque trace représente un événement, une situation en particulier, un accident, une identité, mais il ne faut oublier la composition, l’ensemble du tableau, que je construit et contrôle.

« Pour moi ces compositions représentent des traces de l’histoire et non pas l’histoire des traces. »

Depuis le début de l’art abstrait, beaucoup d’artistes ont observé de plus près ces traces pour y trouver, volontairement ou pas, une Gestalt.

Tu parles de contrôler la composition. Es tu un obsédé du contrôle ou est-ce que tu lâches prise aussi pour accepter des accidents imprévus dans ton travail ?

Non, je ne contrôle absolument rien.
J’avoue que j’aime pousser les limites techniques du dessin jusqu’au bout. D’ailleurs il y a des artistes remarquables qui vont encore plus loin jusqu’à effacer complètement l’usage des mains. Je connais mes limites et j’ai appris à les utiliser comme un outil. Si tu résous chaque problème technique, il n’y a plus rien. Et la peinture demande aussi de trouver des solutions à des contraintes.

Dans ces recherches de solutions est-ce que tu demandes aussi du conseil à ta femme Georgia Russell ?

Nous venons voir l’atelier de l’autre pour donner notre avis, surtout dans les moments un peu critique, quand nous détestons tout et doutons avant une exposition. Nous nous encourageons quand c’est bien,  tout en critiquant aussi les mauvais choix si besoin. Même si je dois avouer accepter moins facilement la critique, nous sortons de ces moments de doute finalement plus fort.

En ce moment la galerie Karsten Greve à Cologne présent ton travail le plus récent, sous le titre « Offerings ». Il a comme sujet les traces de cette croix qui est tombé de toit de la cathédrale de Caracas en 1967 pendant ce grand tremblement de terre.
Y-avait-il en choisissant ce sujet aussi un besoin de reconnecter avec le Venezuela que tu as quitté il y’a 18 ans ? 

Oui, la distance et le temps étaient un déclencheur pour cette série de tableaux, mais comme beaucoup de mes projets, sans vraiment le chercher. Les éléments étaient parfaits: Un événement spirituel qui se passe sur un fait historique qui a créer pleins de fissures et trous, une belle métaphore à l’actuelle crise au Venezuela, une connexion personnelle et un défi technique en tant que peintre.

« J’ai commencé ce projet il y a deux ans pendant lesquels j’ai fait des nombreuses et importantes connexions et rencontres qui m’ont aidé à reconnecter avec l’endroit ou j’étais né. »

Quand je suis venue à ton studio, la première chose que tu as fait, avant de commencer à peindre, était mettre un disque. Est-ce que la musique est importante pour toi ?

Oui, je suis très attaché à la musique. Il y a presque toujours du son qui sort de mes enceintes. Si ce n’est pas de la musique, c’est la radio ou un livre audio, qui pour le moment ma seule littérature dans cette période très prise par le travail. Je tiens beaucoup à mes disques car mes frères et soeurs qui sont plus âgés que moi ne ne m’ont jamais laissé toucher leur tourne-disque.
Récemment j’ai beaucoup écouté « Cantos Campesinos » de Isaac Sasson, qui joue plusieurs instruments typiques du Venezuela et mélange des sons folkloriques et traditionnels. Le groupe « Altin Gün » de Turquie me fait aussi beaucoup danser.

Qu’est-ce qui te vient à l’esprit quand tu penses à l’Iran ?  

Je connais très peu mais je pense à l’eau de rose, le safran, Prince of Persia (le jeu vidéo qui m’a principalement collé à l’écran dans les années 90.), des bons amis et des gens très beaux.

Il y a aussi une vraie connexion entre le Venezuela et l’Iran et j’aimerais qu’elle aille au delà des intérêts  géopolitiques, avec un focus plus sur un échange culturel et sur la fraternité.

C’est un endroit que j’aimerais visiter.

Credits:
Photos par Anahita Vessier
Texte: Anahita Vessier
Traduction: Anahita Vessier
Raul Illarramendi Instagram

Share this post

GIDEON RUBIN, Artisan des souvenirs sans visage

GIDEON RUBIN, Artisan des souvenirs sans visage

Gideon Rubin est un artiste israélien contemporain, et une étoile montante de la scène internationale de l’art.

Son travail artistique évoque la mémoire de quelque chose qui est sur le point de disparaître. En floutant les détails d’identification, en supprimant les traits des visages des humains, il invite le spectateur à compléter ces détails inexistants en utilisant ses propres souvenirs. Ce « dialogue » crée une relation très personnelle entre l’œuvre et l’audience et évoque un sentiment d’intimité et de nostalgie.

Le fait d’être le petit-fils de Reuven Rubin, le célèbre peintre israélien, a-t-il influencé ta décision de devenir peintre ?

Avec le recul aujourd’hui, c’est évident que oui, mais cela a pris beaucoup de temps à se manifester.

J’avais 22 ans quand j’ai commencé la peinture et si on m’avait posé la question au sujet de ma carrière ou de mes perspectives d’emploi les moins probables, peintre aurait été en tête de liste, principalement à cause de mon grand-père et du statut qu’il occupait dans le canon de l’art Israélien. Pendant des années, pour moi, son œuvre était entachée par la renommée de son travail chez moi en Israël.

« Ce n’était pas une simple fleur, ou une maison, ou un portrait, c’était un Rubin avant tout. »

Je pense que c’est la raison principale pour laquelle j’ai choisi devenir peintre en dehors d’Israël quand j’ai finalement trouvé dans la peinture une vraie vocation. C’est seulement à ce moment-là, loin de la maison, que j’ai finalement découvert son œuvre ; la sensibilité, l’application des peintures, les tonalités et combien de tout cela circulait aussi dans mon propre ADN.

Tu étais à New York le 11 Septembre 2001. Cette expérience a-t-elle eu une influence sur ton travail ?

Cela a changé ma vie et définitivement mon travail aussi.
Avant le 11 septembre, j’avais d’habitude de peindre à partir de l’observation, en me concentrant sur des autoportraits à figures complètes qui prenaient des mois à terminer.

Quand je suis rentré à Londres avec le premier vol qui a pu quitter NY, j’avais l’impression de m’évader de l’enfer. J’étais tellement content d’atterrir à Londres, j’avais envie d’embrasser le sol mais je ne pouvais plus peindre comme avant. Je ne pouvais plus me regarder dans un miroir et donc j’ai commencé à faire des petites peintures de nature morte en illustrant des jouets.

Au lieu de peindre un portrait pendant trois mois, j’ai peint trois tableaux par jour. Ça m’a donné le sentiment d’évacuer un immense fardeau. En tant qu’artistes, nous sommes chanceux d’avoir notre travail qui nous permet de faire face à toute cette merde qui se passe autour de nous.

Etant une sorte de « artisan des souvenirs » chaque peinture possède ce détail des êtres humains sans traits de visage. Quelle est la raison, l’intention, derrière ces portraits sans traits caractéristiques du visage ?

Avant tout il s’agit d’un outil d’abstraction, un outil que j’aime utiliser pour diriger et disséquer ce que je vois et la surface d’une peinture. Il s’agit de la simplifier.
J’ai toujours été fasciné, en grandissant, par les petites silhouettes dans les tableaux de paysages de mon grand-père ; de simples petites gouttes de peintures pour décrire un visage, des membres ou un corps. Dans mon travail j’essaie de trouver un équilibre entre le général et le spécifique, entre le « public » et « l’individuel », ce que je trouve fascinant.

Quand j’ai commencé à effacer les traits caractéristiques du visage, c’était quelque chose complètement différent. En peignant de vieux jouets, je réagissais à la suppression physique des traits de visage d’une poupée après des années de manipulation et de jeu avec des enfants. Revenant progressivement à l’art du portrait, j’ai découvert assez rapidement que je peux décrire ce que je veux sans les traits de visage.

 » J’ai été et je suis toujours fasciné par le nombre d’informations que nous rassemblons en dehors de notre visage. »

Notre maniérisme, notre style, la façon de nous habiller, de marcher etc. Nous nous « lisons » les uns les autres, chaque portrait humain, d’abord et avant tout par les traits du visage ; ensuite vient tout le reste. Je suis intéressé par le fait d’inverser ce processus : faire en sorte que tout le reste compte d’abord et puis laisser une ouverture, un point d’interrogation, une histoire qui n’est pas déjà écrite. Pour moi, l’acte d’effacer est si tout aussi important et positif que de le marquer.

Lorsque tu travailles sur un tableau, comment est-ce que tu perçois le temps dans ces moments très intenses et créatifs ?

C’est difficile d’exprimer ces moments par des mots, surtout quand les mots ne sont pas forcément ton truc et que tu ne veux pas paraître ringard.

Mais si je dois l’expliquer, je peux dire que j’ai appris à ne pas chercher ces moments. Il faut simplement travailler, encore et encore. Si ces moments arrivent, tant mieux, tu es dans l’action et il n’y a rien d’autre, mais dès que tu commences à y penser, à reconnaître que tu es ou étais « dedans », alors à ce moment-là, c’est déjà fini.

Y-a -t-il un auteur, un artiste, un musicien qui a changé ta perception de l’art et qui t’a inspiré dans ton processus de création ?

Velasquez, Goya, Rembrandt, Chardin, Soutine, Guston, Manet, Bacon, Freud, Morandi, Alys, Richter, Rotheko, Matisse, Picasso, Diebenkorn, Hemingway, Kerouac, Camus, David Grossman, Primo Levy, Leonard Cohen, Bowie, Dylan, Allen, Tarantino, Almodovar, Nina Simone, la liste est longue …

Qu’est-ce que tu ressens quand tu viens de terminer un tableau et tu le regardes ?

La déception, comme si je pouvais faire mieux. Parfois c’est vrai, parfois heureusement non.

Y-a-t-il une citation, un proverbe qui te guide dans la vie ?

“ L’inspiration existe mais elle doit te trouver lorsque tu es en train de travailler » (Pablo Picasso).

« Un intellectuel exprime une chose simple d’une manière compliquée. Un artiste exprime une chose compliquée d’une manière simple » (Charles Bukowski).

Est-ce que tu travailles en écoutant la musique ? Quel est l’artiste que tu écoutes le plus en ce moment dans ton atelier ?

Ça change, en ce moment j’écoute un peu de soul comme Erica Badu, Lauryn Hill et comme d’habitude mon Jazz démodé, Nina Simone, Coltrane, Miles Davis et un peu de Bowie et Leonard Cohen. Récemment j’ai remarqué que j’écoute davantage de musique classique. Du piano, beaucoup de piano…

Tu étais récemment invité au Musée d’Art Contemporain de Chengdu en Chine à une exposition collective sous le titre « La mémoire va si loin que ce matin ». Cet évènement t’a également donné l’occasion de visiter la province de Xinjiang où habitent les ouïghours, une minorité ethnique qui pratique l’Islam. Comment était cette expérience pour toi ?

C’était vraiment très exceptionnel, une expérience unique. Mon épouse, même si elle est originaire de la Chine continentale, est née au Xinjiang, à Korla, d’où mon intérêt particulier, et j’avais également beaucoup entendu parler de la communauté Türk au sein de laquelle elle est née. Leur apparence physique est plus proche des populations Israéliennes que des populations Chinoises et ma femme m’a toujours dit que j’adorerais leur cuisine.

« Elle avait raison à de nombreux égards et je pouvais trouver de nombreuses similarités entre les ouïghours et les populations du Moyen Orient. »

C’était une expérience très différente par rapport à un voyage normal en Chine, principalement du fait d’une sécurité très rigoureuse, résultat de plusieurs années de troubles politiques, ce qui, je dois le dire, a ajouté un sentiment de malaise, mais cet immense région a beaucoup plus à offrir : une histoire unique de l’ancienne route de la soie qui est incroyablement préservée, en raison des conditions météorologique et d’un climat très sec, ainsi qu’aux sommets enneigés des montagnes les plus hautes qui ressemblent beaucoup aux Alpes suisses.

Des marchés vibrants pleins d’épices aux objets artisanaux et à ces belles femmes voilées, tout semblait faire partie d’un autre temps et d’un lieu quasiment magique.

Qu’est-ce qui te vient à l’esprit quand tu penses à l’Iran ?

En général je pense toujours au plaisir que j’éprouve à rencontrer des Iraniens depuis que j’ai déménagé à New York et à Londres. Selon moi, nous avons beaucoup de choses en commun et beaucoup à apprécier. La première chose qui me vient à l’esprit est la cuisine iranienne, le cinéma « Une Séparation », « A propos d’Elly »…

Je trouve aussi que c’est dommage que je ne puisse pas visiter l’Iran.

Je vois les points de rencontre, le dialogue, l’art.

Credits:
Portrait de Gideon Rubin par Shira Klasmer
Toutes les autres photos par Richard Ivey
Tableaux:
– « Le garçon », 56x51cm, l’huile sur toile, 2011
– « sans titre », 66x71cm, l’huile sur toile, 2012
– « Etang », 200x150cm, l’huile sur toile, 2016
– « Photo de classe de 1947 (dernière année) », 12 tableaux chacun –  25x20cm, l’huile sur toile, 2012
– « Le bandeau jaune », 107x102cm, l’huile sur toile, 2015
– « Policiers », 35.5×30.5cm, l’huile sur toile, 2015
– « sans titre », 26x19cm, gouache sur papier, 2015
– « Crépuscule », 150x200cm, l’huile sur toile, 2016
Texte: Anahita Vessier
Traduction: Anahita Vessier
http://www.gideonrubin.com/

Share this post

ÀCHEVAL PAMPA, Les amazones du style

ÀCHEVAL PAMPA, Les amazones du style

En partant des souvenirs d’enfance qu’elle a passée sur les chevaux dans les Pampas, la styliste argentine Sofia Achaval de Montaigu rend hommage aux cavaliers de cette immense étendue de terre, en créant avec son amie et associée Lucila Sperber la marque de lifestyle Àcheval Pampa.

Avec ses longs cheveux blonds, vêtue d’un de ces fameux bombachas, pantalon de gaucho devenu la pièce clé du label, et de ce chapeau noir, Sofia dégage un exotisme intriguant, une élégance naturelle et une allure poétique. Elle ressemble à une amazone urbaine qui représente parfaitement bien l’esprit du label.

Depuis son lancement au Ritz à Paris l’année dernière, Àcheval Pampa est un véritable succès, séduit les It-girls du moment de Paris à Buenos Aires et promeut avec beaucoup de chic et de sophistication, la beauté de la Pampa et son savoir-faire unique.

Derrière le label Àcheval Pampa, il y a toi et Lucila Sperber. Comment est venue l’idée de créer cette marque ensemble, inspirée des gauchos des Pampas ? 

C’était mon rêve de créer une marque inspirée des gauchos. J’ai grandi à Buenos Aires mais toutes les vacances ou les weekend, je les ai passé dans les Pampas ou ma famille à des terres.

Donc pendant toute mon enfance j’ai grandi avec les chevaux dans cette immense étendue de prairies habillée comme un gaucho.

Quand j’ai fait ensuite mes études de stylisme à Paris au Studio Berçot, j’ai porté souvent les bombachas, ce pantalon de gaucho, des bottes de cavalières ou des ponchos. Ce style qui était très naturel pour moi a fasciné mes amis qui voulaient toujours savoir ou je les avais acheté.

J’ai rencontré Lucila des années plus tard en tant que styliste pendant un shooting pour Rochas, car elle dirige cette marque en Amérique du Sud.
C’est là ou notre idée est née de créer ensemble une marque inspirée des tenues des gauchos. 

Qu’est-ce qui vous fascine exactement dans ce style de gauchos et dans les Pampas, cette vaste région entre l’Uruguay, l’Argentine et le sud de Brésil ?

L’écrivain argentin Jorge Luis Borges disait

« La Pampa est un vertige horizontal ».

J’adore cette citation, que nous avons d’ailleurs brodée sur nos chemises,  car elle décrit parfaitement la sensation qu’on ressent sous le soleil et ces kilomètres de terre devant soi sans rien ni personne.

La tenue des gauchos avec leurs chapeaux, leurs pantalons, leurs ponchos et leurs bottes en cuir ont énormément d’allure et de chic.

Avec Àcheval Pampa nous avons voulu extraire cette élégance, cette allure noble et indémodable de ce vestiaire masculin et le rendre féminin en ajoutant de la sophistication, du romantisme et de la poésie.

Ça me fait penser à la citation d’Yves Saint Laurent qui disait « Une femme n’est jamais aussi féminine que dans un costume d’homme ». 

Moi je suis une grande animatrice de Monsieur Saint Laurent et il a tout à fait raison.

Yves Saint Laurent s’est beaucoup inspiré des vêtements d’homme et les a adapté aux femmes qui sont ensuite devenus des pièces d’une élégance intemporelle. Il prenait ses inspirations des différentes cultures de l’Asie, du Maroc et aussi des gauchos et leur a insufflé une modernité, une élégance et un chic européen.

Et c’est ça notre but avec Àcheval Pampa.

Nous voulons créer une garde-robe de beaux classiques, avec une élégance ethnique épurée que tout le monde peut porter toute une vie.

C’est pour cette raison que nous continuons chaque saison avec nos pièces clé, auxquelles nous ajoutons une petite sélection de nouveautés.

Le corps de nos collections sont les pantalons que nous déclinons dans différentes matières très luxurieuses. Autour de ces pièces, nous avons ajouté les chemises, des capes, des robes, des jupes, et pour cet hiver, une veste.

Nous donnons une grande importance à la qualité des tissus et à la coupe. Il faut que les vêtements soient parfaitement taillés et aussi agréables à porter du matin jusqu’au soir.

Mais il y’a aussi des bijoux et des ceintures pour lesquels vous faites appel à des artistes.

Oui, les bijoux et ceintures sont faits par l’incroyable artiste argentine Luna Paiva qui est connue pour ces énormes sculptures en bronze.
Cette collection capsule s’inspire de ce ciel très particulier des Pampas avec ce soleil et cette lune qui sont très intenses dans ce lieu magique.

Luna dessine d’abord et fait ensuite les moules à la main dans son atelier de production.

Pensez vous à inviter aussi d’autres artistes pour des collaborations?

Nous aimons vraiment l’idée des collaborations car c’est intéressant d’apporter un autre regard à la collection, mais il faut aussi qu’elles se fassent d’une manière naturelle sans être forcé.

Nous continuerons certainement notre collaboration avec Luna, dont nous adorons énormément  l’univers qui est en parfaite symbiose avec le style d’Àcheval Pampa.

Des It-girls comme Kendall Jenner, Meghan Markle sont des fans d’Àcheval Pampa et Delfina Blaquier a porté cette magnifique robe bleue au royal wedding de Harry et Meghan.

Oui, Delfina était sublime dans cette robe !
De l’avoir porté à ce moment là a fait un énorme buzz surtout sur les réseaux sociaux et a donné une énorme visibilité à la marque,  juste quelques mois après le lancement d’Àcheval Pampa au Ritz.

D’ailleurs Delfina et son mari Nacho Figueras, le grand joueur de polo, font aussi partie de cette aventure et sont les meilleurs ambassadeurs du label. On est tous très amis et nous partageons tous cet amour pour l’Argentine, sa beauté époustouflante et son savoir-faire unique.

Ce savoir-faire local et l’artisanat traditionnel est très mis en avant chez vous. Est-ce que tu penses que la nouvelle définition du vrai luxe est de produire moins mais d’une manière plus artisanale?

Pour nous c’est très important que tout soit produit localement.
Nos pantalons et les chemises sont fabriqués en Uruguay, les ceintures dans le sud du Brésil et les sacs sont faits par le meilleur atelier en Argentine qui est spécialisé dans la fabrication des selles des chevaux des gauchos. Ils ont un savoir-faire incroyable. Et nous faisons produire nos chapeaux noirs par une famille qui ne fait que ce modèle.

Le « made in the Pampas » nous tient vraiment à coeur et nous voulons le promouvoir et l’exporter dans le monde entier. C’est aussi une manière de donner du travail à tous ces artisans d’un talent impressionnant et pour que ce riche et unique savoir-faire ne disparaisse pas.

Àcheval Pampa est avant tout une marque de lifestyle, pas de designer, avec un esprit qui peut être décliné tout à fait aussi dans d’autres domaines comme le parfum ou les meubles.

2018 était l’année du lancement d’Àcheval Pampa qui était un véritable succès. Peux tu nous dévoiler vos nouveaux projets pour 2019?

Nous allons présenter notre collection Automne / Hiver en mars au Ritz.

Nous avons aussi un agenda rempli de voyages. Nous avons la chance d’avoir des très beaux magasins partout dans le monde qui vendent nos collections et qui organisent des événements autour la marque.

Ces voyages et ces rencontres avec les boutiques et les clients sont pour un projet comme le notre très importants car ça donne la vie à la marque et permet également d’avoir un contact direct avec notre clientèle et de comprendre ce que chaque femme aime de nos collections.

On va peut-être aussi créer des vêtement pour hommes car il y en a beaucoup qui veulent porter nos pantalons.

Qu’est-ce qui te vient à l’esprit quand tu penses à L’Iran?

Je pense à des couleurs, à des épices.
Ca me rappelle aussi l’Argentine car les deux pays on une culture très forte.
J’aimerais beaucoup y aller.

Credits:
Toutes les photos © Àcheval Pampa
e-Shop: https://acheval-pampa.myshopify.com
Texte: Anahita Vessier

Share this post

MATHIAS KISS, L’artiste à la main d’or

MATHIAS KISS, L’artiste à la main d’or

Mathias Kiss, artiste français, iconoclaste et dandy en blouse blanche, qui préfère de loin le franc-parler, est un personnage insolite et touchant, d’une énergie créative débordante et qui aime flirter avec les limites. Dans son oeuvre, il casse les conventions techniques et esthétiques de l’art classique, cherche des nouveaux codes et associe le classicisme français avec l’avant-garde.

Ses installations démesurées et déstructurées sont exposées dans des galeries et musées les plus prestigieux, au Musée des Arts Décoratifs et au Palais de Tokyo à Paris, et son univers séduit des maisons de luxe comme Hermès ou Boucheron.

Comment est née ta vocation d’artiste ?

J’ai commencé à l’âge de 14 ans un apprentissage peintre-vitrier et puis à l’âge de 17 ans,  j’ai décidé de rejoindre les Compagnons du Devoir où je suis resté pendant une quinzaine d’années.
Si j’en avais eu la possibilité, j’aurais adoré faire les Beaux-Arts. Mais ce parcours m’a finalement donné les outils et le savoir-faire pour pouvoir faire ce que je fais aujourd’hui.

Pour moi, l’art est quelque chose qui vient de mon vécu imprégné d’un certain traumatisme, mais que j’ai essayé de contrebalancer par la suite.

D’où provenait ce traumatisme ?

Quand tu es peintre en bâtiment, ça fait plutôt fuir les filles !

C’est compliqué d’arrêter l’école à 14 ans et de commencer à travailler. Pour la plupart des gens, cela n’était absolument pas attirant. Tout le monde faisait le bac, ou un métier col blanc, graphiste etc. C’était dur, de se sentir seul, d’être un peu « en marge ».

Comment peut-on te définir ? Artisan ? Artiste?

Au départ chez les Compagnons, tu veux juste être un bon artisan, ressembler à ton chef qui se fâche contre toi et te crie dessus si le ciel au plafond n’est pas parfaitement peint.

Jamais il ne me serait venu à l’esprit une question telle que « Pourquoi je ne fais pas le ciel en rouge ? ».

C’est plus tard que j’ai pu m’émanciper, me libérer des dogmes et aller vers l’art.

D’ailleurs, au début de ma carrière d’artiste, les gens ne savaient pas où me classer, dans la déco, dans l’artisan, ou dans l’art. Heureusement, il y a eu des personnes qui m’ont fait confiance et qui ont ensuite encouragé d’autres personnes à acheter mes œuvres.

D’où vient cette envie de casser les normes ?

Chez les Compagnons, j’ai grandi avec un compas et une équerre, ce qui symbolise les dogmes, le 90 degrés, le niveau. Mais j’ai fini par asphyxier dans les règles qui m’étaient imposées. Personne de mon âge ne s’intéressait à mon travail. C’était trop classique, trop rigide. J’avais envie de casser les normes, de me libérer des diktats techniques et esthétiques.

Je me suis demandé comment il serait possible de préserver les codes historiques du savoir-faire français et de les intégrer dans un contexte contemporain.

Il y a deux grands courants dans mon travail :

« Sans 90° », qui réunit des œuvres comme mes miroirs froissés, la banquette Igloo, le tapis Magyar, toutes sans angle droit.

Et aussi les « Golden Snake » ce que je décris comme libération d’éléments d’architecture habituellement en plâtre et qui questionnent le savoir-faire et la démarche artistique.

En quoi l’or est-il un matériau intéressant qui prend un rôle très important dans ton œuvre ?

L’or, c’est la lumière, c’est la vie. Ce n’est pas uniquement l’opulence ou le doré un peu kitsch et passéiste.

L’or permet aussi d’engager une réflexion sur le pouvoir, celui de la séduction des femmes à l’aide d’accessoires et de bijoux, celui des hommes qui se sont battus depuis toujours pour le posséder.

Envisages-tu d’autres défis que tu aimerais ajouter à l’œuvre de Mathias Kiss ? 

En tant que compagnon, j’ai travaillé sur des chantiers à la Comédie Française, à l’Opéra Garnier, au Conseil d’État, et dans d’autres palais de la République française. Au fil du temps, je ne me suis plus trouvé dans ce travail et je suis parti plus vers l’art contemporain

Un bon mélange des deux serait de faire des installations dans l’espace public, une sorte d’hommage à Paris, la ville musée.

Je pense par exemple à une adaptation de la corniche que j’ai faite pour le Palais de Tokyo pour un usage urbain où les enfants peuvent monter dessus et les gens peuvent s’assoir.
Ça serait vraiment un projet intéressant et un bon défi.

Ces grands espaces et grands murs blancs ne te font pas peur ?

Plus c’est grand, plus je kiffe ! Ça représente d’immenses pages blanches sur lesquelles je peux imaginer des installations.

Ayant pratiqué la boxe thaïe en compétition jusqu’à l’âge de 30 ans, tu as fait une séance de boxe avec le champion du monde Patrick Quarteron devant ton installation « Golden Snake » au Palais de Tokyo pour le magazine Numéro.
Selon toi, existe-t-il un lien entre l’art et la boxe?

 Souvent les gens ne voient pas le lien entre les deux univers.

Qu’est-ce que c’est un boxeur si ce n’est un homme à poil qui vient pour gagner, pour être applaudi par les spectateurs. C’est une sorte de narcissisme et d’exhibitionnisme total, ou un besoin de l’amour et de lumière qui est finalement proche de l’artiste.

Être un artiste est aussi lié à une mise en danger, prendre des coups, se jeter dans le vide.

Sur quel(s) projet(s) travailles-tu en ce moment ?

Sur une carte blanche pour le Palais des Beaux-Arts à Lille pour avril 2019.

Qu’est-ce qui te vient à l’esprit quand tu penses à l’Iran ?

L’incroyable fête organisée par le Shah d’Iran pour célébrer le 2500e anniversaire de la fondation de l’Empire Perse. C’est dingue qu’on en parle encore aujourd’hui. Elle est presque devenue un monument en elle-même, une sorte de symbole très fort.

Credits:
Toutes les photos par David Zagdoun
Sauf:
Image sur Home de Mathias Kiss par Wendy Bevan
Photo de Mathias Kiss et Patrick Quarteron au Palais de Tokyo par Stéphane Gallois pour Numéro
http://www.mathiaskiss.com
Text: Anahita Vessier

Share this post

HORMOZ HEMATIAN & ASHKAN ZAHRAEI, Electric Room, l’art sous haute tension

HORMOZ HEMATIAN & ASHKAN ZAHRAEI, Electric Room, l’art sous haute tension

La scène de l’art à Téhéran est vivante et riche avec des artistes extrêmement talentueux dont beaucoup sont nés après la Revolution Islamique.

Hormoz Hematian, fondateur et gérant de la Galerie Dastan, un des espaces le plus branché et pointu dans l’art contemporain de la capitale iranienne, et son ami Ashkan Zahraei, curateur et responsable de la communication chez Dastan, voyagent constamment autour du monde, entre Téhéran et les foires de l’art les plus importantes pour promouvoir le travail de leurs artistes et pour developper des collaborations internationales.

Ces deux workaholics avec une passion inconditionnelle pour l’art ont des milliers d’idées en tête et n’ont pas peur des défis. Ils ont lancé en 2017 « Electric Room », certainement un des projets le plus fou, intense et ambitieux qui font Téhéran un vrai recevoir de créativité et un des lieux le plus intéressant et dynamique de l’art contemporain.

‘Electric Room’ est un projet d’art très intéressant et ambitieux que vous avez développé et introduit sur la scène de l’art en Iran. Comment est née cette idée ?

AZ: Téhéran a une communauté de l’art plutôt restreinte. Dans le cadre de mon travail en tant qu’écrivain et curateur pour la Galerie Dastan et autres, j’ai rencontré beaucoup d’artistes qui avaient envie de faire des installations artistiques mais il manquait l’espace approprié pour ce genre de projet expérimental.

C’est pour cette raison qu’Hormoz et moi avons eu l’idée de lancer le concept d’Electric Room.

Le concept était de montrer 50 projets d’art en 50 semaines en présentant chaque semaine une nouvelle exposition et aussi des artistes moins connus. Donc un projet avec un début et une fin bien définie.

C’est un grand défi ! 

HH:  Oui, le défi était énorme ! C’est plus d’expos que certaines galeries font en 5 ans.

J’ai trois galeries à Téhéran, et il me manquait parfois la spontanéité dans l’organisation d’une exposition. Electric Room nous a permis de retrouver le côté romantique de l’art.

En juin 2017, nous avons donc ouvert ce nouvel espace, d’une petite superficie de 30m2, au centre de Téhéran, juste à côté de l’Université d’Art et d’Architecture, et tout près des Beaux-Arts et autres institutions culturelles importantes. C’est un quartier très animé, avec une super ambiance et pleins d’étudiants.

Nous avons donné le nom « Electric Room » au projet car un mur de cet espace d’exposition est presque entièrement couvert de tableaux électriques et d’unités de contrôle. C’est un endroit très cool et hors du commun.

AZ: Heureusement nous sommes tous les deux des workaholics !

Le projet était à la fois fabuleux et tellement intense. Nous voulions offrir aux gens une expérience unique.

Il fallait démonter chaque exposition en une journée seulement pour ensuite peindre les murs et installer la nouvelle exposition, et le même déroulement toutes les semaines pendant 14 mois. C’était un rythme de dingue !

Et comment était la réaction du public iranien ?

HH: La réaction était fantastique !

A chaque vernissage l’ambiance était incroyable, littéralement « électrique ».

Nous avons eu tellement de monde qu’il n’y avait pas assez d’espace pour tous les visiteurs à l’intérieur de la galerie.

Quel type de personnes étaient présentes aux vernissages ?

HH: De bonnes personnes. Des jeunes, des vieux, des amoureux de l’art, des clients potentiels, des gens qui normalement ne visitent pas les galeries mais qui adoraient l’ambiance et qui étaient impressionnées par l’espace. Chaque vernissage durait 4 à 5 heures.

AZ: Nous avons aussi invité les autres galeries de Téhéran pour leur présenter les artistes.

L’idée fondamentale d’Electric Room était d’être spontané, ouvert d’esprit, accessible et généreux.

Vous avez présenté 50 projets artistiques de 50 artistes différents en 50 semaines. Comment avez-vous réussi à trouver cette grande variété d’artistes ?

AZ: Nous avons mis le focus sur plusieurs types de projet :

Des installations, des présentations d’un seul objet d’art, des projets multimédia et vidéo et aussi des projets d’archive, comme par exemple l’exposition « OVNI à Téhéran ».

Je suis fasciné par les Ovnis et cette exposition était une présentation basée sur des archives sur l’apparition d’Ovni en 1976 au-dessus de Téhéran. Nous avons montré des documents, des articles et des films qui étaient faits à ce sujet à l’époque. J’aime vraiment l’idée qu’un projet non-artistique puisse aussi devenir art.

HH: Au début certains artistes étaient un peu sceptiques car c’était une façon très inhabituelle de présenter des œuvres artistiques. Ils ne voulaient pas prendre le risque. Donc nous avons commencé avec les artistes qui nous ont fait confiance.

AZ: C’est pour cette raison que nous avons collaboré au début d’Electric Room avec des artistes avec lesquels nous avons déjà travaillé à la galerie Dastan, comme Sina Choopani, Mohammad Hossein Gholamzadeh, Meghdad Lorpour, notamment.
Le fait d’exposer leurs œuvres a donné confiance aux autres artistes pour y participer aussi.

Nous avons eu la chance de travailler avec des artistes extrêmement talentueux en Iran. Certains refusaient même auparavant des collaborations avec des galeries.

Parmi ces artistes, il y a des iraniens qui vivent et travaillent à l’étranger. Pourquoi est-ce important pour eux de montrer leur travail à Téhéran dans votre galerie ?

AZ: Electric Room avait une portée très vaste avec un programme détaillé.

Les artistes avaient envie de faire partie de cette expérience extraordinaire et de présenter leurs œuvres dans ce contexte atypique.

Avec Electric Room et la Galerie Dastan vous travaillez sur des projets artistiques de très haut niveau, ce qui vous a permis d’obtenir une excellente réputation au niveau international dans le milieu de l’art. D’ou vient initialement cet amour pour l’art?

AZ: Pour moi; l’art est le mélange combiné de la formation universitaire (l’écriture, les théories critiques) et de la pratique.

Autant la théorie et la littérature peuvent donner un aperçu vers le monde, autant l’art est un meilleur moyen pour créer un dialogue et une communication.

HH: Mon grand-père était un général avant la revolution; après la chute du Shah, il a quitté l’armée et s’est consacré à la peinture, et il est devenu un artiste autodidacte.

Quand je lui rendais visite dans sa maison au Khorasan, il y avait une chambre dédiée aux peintures, une autres à la calligraphie, et une pièce de musique avec tous ses instruments.
Il y avait une vraie magie. Et j’ai vu comment l’art lui a sauvé la vie.

Est-ce que la politique de Trump et ses sanctions contre l’Iran ont mis une fin au boom du marché d’art iranien ?

AZ: Non. Les vrais artistes vont toujours trouver un moyen d’exprimer leurs idées. S’il n’y a plus de peinture ou du papier de haute qualité dans les magasins, ils utiliseront des outils moins coûteux mais ça ne les arrêtera pas d’être créatifs, d’être des artistes.

Ayant vécu cette expérience bien intense d’Electric Room pendant 50 semaines sans interruption, quels étaient vos sentiments pendant la toute dernière exposition du projet ?

HH: Très émotionnel.

AZ: Au début je ne savais pas vraiment ce que je devrais ressentir, mais le dernier jour était définitivement très triste. Au fond de moi, je savais qu’il était nécessaire de finir ce projet incroyable que nous avions commencé, mais il fut malgré tout très difficile de le lâcher.

Credits:
Toutes les photos d’Hormoz Hematian et d’Ashkan Zahraei:  Roxana Fazeli
(certaines montrant le travail d’Atefeh Majidi Nezhad’s « Revision: Zero-G »)
Toutes les photos des expositions à l’Electric Room : Dastan Gallery
Photo exposition 1: « Unsafe zone/domestic production » par Amin Akbari
Photo exposition 2: « The champion » par Mohammad Hossein Gholamzade
Photo exposition 3: « We are » par Sina Choopani
Photo exposition 4:  « Memebrain » par Taba Fajrak & Shokoufeh Khoramroodi
Photo exposition 5: « Inevitably inescapable » par Siavash Naghshbandi
Photo exposition 6:  « Tehran UFO project »
Photo exposition 7:  « Tangab » par Meghdad Lorpour
Photo exposition 8: « Mutual tongue » par Milad Nemati
Photo exposition 9: « The shaving » par Farrokh Mahdavi
Photo exposition 10: « Interview » par Sepideh Zamani
https://dastan.gallery
Electric Room 
Texte: Anahita Vessier
Traduction: Anahita Vessier

Share this post