POUREA ALIMIRZAEE, Masculinité fragile

POUREA ALIMIRZAEE, Masculinité fragile

Toujours dans sa dernière année à l’Académie des Beaux-Arts de Vienne, le nom de Pourea Alimirzaee circule déjà parmi les collectionneurs d’art.

Originaire d’Iran, Pourea traite dans son travail exclusivement le sujet de la masculinité fragile, également appelée masculinité toxique. Il a créé ce personnage, un être humain entre femme et homme, qui ressemble beaucoup au jeune artiste aux cheveux longs. Des autoportraits? « Oui, bien sûr, il y a des similitudes », répond-il avec un rire et une confiance en soi et ajoute: « En tant que spectateur, vous devez vous en occuper, soit cela vous dérange, soit vous vous sentez attiré ».

Comment es-tu entrée dans les arts ?

J’ai initialement étudié l’ingénierie informatique à Téhéran, mais j’ai toujours dessiné. Je ne savais tout simplement pas à ce moment-là que je continuerai dans l’art.

Alors, comment es-tu venu à Vienne pour étudier l’art ?

J’avais besoin d’un changement à un moment de ma vie, un nouveau défi. A cette époque, je jouais de la basse en groupe en Iran. Donc, un jour, j’ai rencontré un de mes amis dans la rue qui m’a dit d’essayer l’examen pour le Conservatoire de Vienne. Je l’ai fait… et quelques mois plus tard, je me suis retrouvé à Vienne pour étudier la basse au conservatoire. Mais la façon dont ils enseignaient la musique était trop conservatrice pour moi, j’ai donc décidé de postuler à l’Académie des Beaux-Arts en 2015 en peinture figurative avec Kirsi Mikkola. Et je suis entré !

En regardant tes toiles, il y a toujours ce personnage avec ces cheveux longs fixés dans cet environnement onirique…

Oui, je travaille en fait sur le sujet de la « masculinité toxique » ou de la « masculinité fragile » qui fait référence à certaines normes masculines culturelles, traditionnelles et stéréotypées qui peuvent nuire aux hommes, aux femmes et à la société en général. Cela évoque également la position des hommes qui se comportent de manière féminine mais qui ne sont pas homosexuels.

J’ai lutté toute ma vie avec ce genre de stéréotypes et de société qui vous dit de jouer ce rôle d’être un « vrai homme ».

Donc, quand je suis arrivé à Vienne, j’ai commencé à explorer davantage ce sentiment que j’avais et à faire plus de recherches sur la « masculinité toxique / fragile ». C’est une tendance qui a commencé il y a environ quatre ans, alors j’ai pensé qu’il était temps d’en parler.

Dans ce cas, ces portraits dans tes peintures sont-ils en fait des autoportraits ?

Bien sûr, il y a des similitudes !
J’ai créé ce personnage où vous ne savez pas si c’est un homme ou une femme aux cheveux longs. Les cheveux longs sont normalement un symbole très féminin, et ici vous avez ce mec debout sur cette photo essayant d’être confiant, juste être soi-même. En tant que spectateur, vous devez y faire face, que vous vous sentiez dérangé ou intrigué.

Et en tant que musicien, de la musique quand tu peins ?

Oui, la bande originale du film « Rashomon » de Kurosawa encore et encore. C’est fantastique ! Elle m’amène dans une sorte d’état d’esprit spirituel.

Credits:
Photos : Anahita Vessier
Photo de couverture : Navid Moaddeb
Texte: Anahita Vessier
Pourea Alimirzaee Instagram

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RANA BEGUM, Lumière, couleur et forme

RANA BEGUM, Lumière, couleur et forme

L’artiste anglo-bangladaise Rana Begum a déménagé du Bangladesh en Angleterre à l’âge de huit ans, sans parler un mot d’anglais. Elle a choisi dès ce moment l’art comme son mode de communication. Cette envie permanente de créer l’a amenée à devenir l’une des étoiles montantes de la scène artistique internationale.

Elle a dit un jour à propos de sa pratique: « Le besoin de créer est toujours là. J’ai pris un itinéraire visuel. Ce n’est pas nécessairement celui que les gens comprennent toujours, mais j’en suis contente. Même si parfois, je ne sais pas trop où je vais, je suis confiante que cette route me mène quelque part. »

Comment es-tu entrée dans les arts ?

Je suis arrivé en Angleterre en 1985. Je ne parlais pas un mot d’anglais, donc quand j’ai commencé l’école, c’était vraiment difficile – j’ai passé la majeure partie de ma première journée à m’ennuyer et à essayer de ne pas m’endormir ! Le lendemain, mon professeur m’a donné des crayons de couleur et du papier. Soudain, j’ai eu un moyen de communiquer. Je dessinais constamment et toutes mes photos montaient sur le mur.

Cela m’a donné un lien si positif avec l’art dès mon jeune âge.

Devenir artiste a donc été un véritable défi pour toi.

Oui, je pense que c’est juste de le dire ! Étant à la fois une femme et une musulmane, j’ai dû travailler très dur pour que ni l’une ni l’autre de ces choses ne définisse mon travail ou la façon dont il est perçu. Mais je ne me suis pas rendue les choses faciles.

J’ai commencé comme une artiste figurative qui était en conflit avec les croyances religieuses de ma famille mais, grâce au soutien de ma directrice et de mon oncle, ils ont fait le tour.

Tout cela fait partie du voyage qui m’a amené là où je suis aujourd’hui.

La lumière, la couleur et la répétition sont très importantes dans ton travail. Quel est le lien avec ton enfance au Bangladesh où tu as grandi jusqu’à tes huit ans ?

Oui, c’est assez étrange parce que, pendant longtemps, je ne me suis pas senti du tout lié à mon expérience d’enfant au Bangladesh.

Ce n’est que lorsque j’étais en thérapie analytique cognitive, un moyen de redécouvrir les souvenirs, que j’ai pu découvrir pourquoi j’ai fait certaines choses quand j’étais enfant au Bangladesh et comment elles ont influencé mon travail plus tard. Je crois vraiment que les choses arrivent pour une raison !

Par exemple, je regardais dans les rizières et ces images sont extrêmement vives. Je me souviens de la répétitivité, de l’eau, du vent, du mouvement et de la lumière se reflétant sur l’eau. Je me souviens qu’on m’avait beaucoup dit de s’asseoir et de regarder. À l’époque, je ne sais pas pourquoi je le faisais.

Mais maintenant, ces couleurs et ces formes se manifestent dans mon travail, comme si elles s’imprimaient d’une manière ou d’une autre dans mon esprit d’enfant.

Les couleurs sont très importantes pour moi. J’ai grandi en regardant des films de Bollywood et j’ai vraiment adoré leur dynamisme.

De plus, mon amour pour la répétition vient de mon éducation religieuse. J’ai grandi en lisant le Coran et en priant cinq fois par jour. La routine de la prière ainsi que les mouvements que vous faites lorsque vous priez ont insufflé cette répétition qui imprègne à jamais mon travail.

Ces trois choses, les couleurs, la lumière et la forme sont comme un triangle qui a façonné ma pratique.

Et comment as-tu ressenti ton retour au Bangladesh en tant qu’artiste en 2014 pour exposer au Dhaka Art Summit ? As-tu été nerveuse ?

J’étais vraiment nerveuse, c’était vraiment une grosse affaire ! Je savais que je retournerais un jour au Bangladesh mais je ne pensais pas que je retournerais exposer. C’était à peu près au moment où j’étais en thérapie et j’avais découvert d’autres souvenirs d’enfance. Il a paru particulièrement approprié car le brief a été d’utiliser des matériaux produits localement. En grandissant, j’avais une amie de la famille qui s’occupait de moi et elle tissait des paniers. Je voulais intégrer cette mémoire d’enfance alors j’ai pensé pourquoi ne pas créer une structure avec une formation de panier.

Quand j’étais enfant, je me rendais à la mosquée tôt le matin pour lire le Coran. La mosquée elle-même était très simple avec une fontaine en face qui a depuis été démolie. Je me souviens de la salle remplie de gens récitant le Coran. Il y avait le son des voix à côté de celui des pages qui tournaient avec la lumière du soleil à travers la fenêtre. Ce fut un fort moment multi-sensoriel de lumière et de son. C’est ce que je voulais recréer au Dhaka Art Summit, une expérience intense mais calme et méditative.

Un autre moment fort de mon retour au Bangladesh a été que j’ai rencontré Ziba de l’Unité des parasols à Dhaka.

Ce fut une rencontre très importante dans ta carrière.

La rencontre avec Ziba a été un moment très spécial dans ma carrière. Elle m’a donné une incroyable opportunité d’avoir une exposition solo à Parasol Unit à Londres.

Grâce à son travail de commissaire, j’ai pu créer un récit qui m’a aidé à comprendre d’où venait mon travail, à accéder à ma position à l’époque et à me faire savoir que j’allais dans la bonne direction. Ce spectacle m’a vraiment donné la confiance dont j’avais besoin.

En tant qu’artiste, penses-tu qu’il est important de laisser de la place aux accidents et de lâcher prise parfois ?

Il faut ! Sinon, tu produiras les mêmes choses encore et encore. Chaque accident est spécial et doit conduire à autre chose. Ce pourrait être le moindre détail auquel la prochaine œuvre d’art répond.

Une grande partie de mon travail découle de rencontres fortuites – le jeu de la lumière sur un mur ou l’expérimentation d’un nouveau matériau. Je pense qu’il est essentiel de maintenir un niveau de curiosité et de liberté lors de la création de travail.

Et quand tu regardes une œuvre d’art finie, arrive-t-il que tu ne sois pas satisfaite du résultat ?

Parfois oui et c’est là que je le laisse tranquille un moment et que j’y reviendrai. Il y a des moments où je ne veux pas abandonner les travaux. Cependant, pour moi, il est plus important que le travail sorte une fois terminé et puisse interagir avec les téléspectateurs et son environnement. Parce que des facteurs temporels tels que la lumière jouent un rôle si crucial dans mon travail, vous ne pouvez jamais vraiment dire qu’un travail est terminé car il prendra une variété d’états nouveaux et inattendus selon l’heure de la journée, différentes densités de lumière, etc.

C’est pourquoi j’aime l’art public. Vous pouvez repousser les limites auxquelles vous ne pourriez pas vous attaquer en studio.

Un endroit public où tu rêves d’avoir une de tes œuvres d’art ?

Dia Art Foundation !

Et qu’en est-il des collaborations ?

J’adore collaborer avec des gens de différentes disciplines car il y a des choses à explorer auxquelles tu n’aurais peut-être pas pensé.

Pour moi, il est essentiel d’être ouvert aux conversations et aux critiques. C’est la seule façon de continuer à grandir et à apprendre.

Est-ce que ça a été toujours facile pour toi de parler de l’Islam ?

C’était une des choses qui m’a été très difficile pendant longtemps parce que je ne voulais pas être coincée, poussée dans une certaine direction. Je ne voulais pas que mon sexe, ma religion ou ma culture soit un problème. Il était impératif pour moi de ne pas me concentrer sur ces choses et la peinture m’a offert la liberté dont j’avais besoin. Maintenant, je n’ai plus de problème à parler des influences.

Quelle est ta première pensée lorsque tu penses à l’Iran?

C’est un endroit où j’adorerais aller… la géométrie, la couleur et les plats délicieux me viennent à l’esprit !

Credits :
Toutes les photos de Rana Begum dans son studio par Philip White
Couverture : photo par Josh Murffit
Texte : Anahita Vessier
Traduction : Anahita Vessier
https://www.ranabegum.com

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GEORGIA RUSSELL, Fenêtre sur la nature sauvage

GEORGIA RUSSELL, Fenêtre sur la nature sauvage

Observer Georgia Russell travailler sur ses tableaux est extrêmement fascinant. Originaire d’Elgin en Ecosse, ses oeuvres sont impressionnantes et rappellent les vastes prairies des Highlands bougeant dans le vent avec leurs couleurs, mouvements et luminosité. Equipée d’un scalpel elle coupe des rayures et des ornements sur plusieurs couches de papier et de toile ce qui crée un effet tridimensionnel. Ses pièces ressemblent à des fenêtres couvertes par des plantes qui laissent passer la lumière par endroit et permets d’entrevoir des parties d’architecture.

Aujourd’hui Georgia vit et travaille près de Paris avec son mari l’artiste vénézuélien Raul Illarramendi et leur deux enfants. Son oeuvre est présentée dans des expositions en France et à l’étranger et se trouve dans des collections privées et publiques, comme par exemple au Centre George Pompidou.

D’origine écossaise tu vis et travailles près de Paris, à Méru, après avoir été diplômée de la fameuse Royal College of Art à Londres. Pourquoi ce déménagement en France ?

Pendant mes études au Royal College j’ai été en résidence d’artiste à la Cité des Arts Internationale à Paris afin de faire des recherches pour mon projet sur des livres découpés. Donc c’était évident d’y retourner après le master.

Il y a longtemps ! Maintenant tu es une artiste renommée avec beaucoup de succès. Tu présentes en ce moment  ton nouveau travail à la Galerie Karsten Greve à Paris. Quelle était ton inspiration derrière cette exposition sous le titre « Paintings » ? 

Mon nouveau travail montre ce saut  des pièces enfermées sous verre de plexiglas aux oeuvres peintes sur la toile.

J’avais envie de travailler des surfaces plus larges et de voir ce que c’est de créer de vrais tableaux.

Récemment je me suis inspirée du travail de Helen Frankenthaler et de son usage du recto verso d’une toile ainsi que  par les compositions verticales de Clyfford Still.

Les tableaux se transforment presque en sculpture. Tu découpes des ornements ou de fines lignes avec un scalpel pour les reconstruire après en les superposant les unes sur les autres, les enlaçant l’une dans l’autre ce qui crée un effet tridimensionnel et un mouvement extraordinaire. Peux tu m’expliquer un peu plus ce concept de la «  destruction créative »?

Je ne le vois pas comme une destruction mais plutôt comme une reconstruction. Je suis très intéressée à l’idée que quelque chose a changé et que ce changement soit irréversible.

Lorsqu’on réalise que quelque chose nous manque, n’est plus, des choses très émotionnelles se passent en nous,  ce ne sont pas forcement des sentiments de perte mais aussi de liberté ou de soulagement.

Dans ton travail il y a toujours ce geste répétitif que tu appliques d’une manière méticuleuse. Comment tu te sens dans ces moments de concentration absolue pendant des heures, jours, semaines quand tu travailles sur une œuvre ? 

Ces mouvements ne me paraissent pas répétitifs car chaque geste, chaque trait est différent. J’adore être à 100% concentrée sur une oeuvre. Dans ces moments,  j’oublie complètement le monde autour de moi et je pense seulement au jeu de formes, aux couleurs, du recto verso, du négatif à côte du positif, aux mouvements.

Ce mouvement très particulier dans tes oeuvres me fait penser à des chorégraphies de danse moderne. Isadora Duncan disait: « Tu es née sauvage, ne te laisse pas dompter. » Que penses tu de cette citation?

J’adore cette citation ! Je devrais m’en rappeler tous les jours.

Ton mari est l’artiste vénézuélien Raul Illarramendi. Est-ce que tu lui demandes parfois des conseils?

Oui, quand nous avons du temps ! Nos journées de travail sont très remplies et passent très vite. Mais quand j’ai un vrai souci ou des doutes, j’aime en discuter avec lui.

Et quand tu as le temps tu visites certainement parfois des musées ou des expositions. Et si tu étais enfermée pendant une nuit au Louvre ! Dans quelle section passerais tu le plus de temps ?

Normalement je vais toujours dans la partie des tableaux mais récemment j’ai visité le département sur les antiquités des Assyriens et j’ai découvert ces oeuvres monumentales des créatures à têtes humaines avec corps de taureaux et des ailes d’aigles. On les appelle Lammasus ou Shedu. Leur symbolisme et histoire me fascinent.

Qu’est-ce qui travers ton esprit, quand tu penses à l’Iran ?

Je pense surtout à l‘artiste Shirin Neshat.

Credits:
Photos par Anahita Vessier
Texte: Anahita Vessier
Traduction: Anahita Vessier

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RAUL ILLARRAMENDI, Dessiner les traces du temps

RAUL ILLARRAMENDI, Dessiner les traces du temps

Dès qu’on entre dans le studio de Raul Illarramendi, on sent l’énergie dynamique et creative de cet artiste vénézuélien. Après avoir quitté le Venezuela il y a 18 ans, il retrouve ses racines avec sa dernière oeuvre. Fasciné par les traces du temps et leurs identités, il s’intéresse dans son exposition actuelle « Offerings » à l’histoire de la croix qui est tombée du toit de la cathédrale de Caracas pendant le tremblement de terre en 1967. Il a reproduit minutieusement les empreintes de la croix dans le bitume et impressionne le spectateur avec sa maîtrise exceptionnelle du dessin qu’il applique sur ses tableaux.

Raul Illarramendi a beaucoup voyagé avant de s’installer près de Paris ou il vit et travaille maintenant avec sa femme, l’artiste Georgia Russell et leurs deux enfants. Ses oeuvres sont présentés régulièrement dans des expositions en groupe ou seul en Europe, Amérique Latine et aux Etats Unis.

Tu viens du Venezuela ou tu as commencé ton parcours initiatique artistique en tant qu’assistant du peintre Felix Perdomo à Caracas. Après avoir continué tes études à Evansville aux Etats Unis, tu as enchainé avec une maitrise en art visuel à l’Université Jean Monnet à Saint Etienne en France. Aujourd’hui tu vis et travailles près de Paris, à Méru, avec ta compagne,  l’artiste écossaise Georgia Russell et vos deux enfants. 

Quel parcours généré par ta passion pour l’art !
Qu’as tu appris de chaque pays sur sa vision de l’art ? 

Même si j’ai vécu à chaque fois pendant une longue période dans un pays, je me considère pas comme quelqu’un qui a beaucoup voyagé. Oui, j’était dans différents pays mais mon travail m’a toujours fixé à un endroit pendant longtemps comme une ancre.

« J’aime absorber l’identité d’un lieu et ça prend du temps. Je pense que les artistes sont souvent occupés d’abord avec ce qui se passe à l’intérieur d’eux-mêmes avant d’observer la vie autour d’eux. »

Chaque endroit, chaque atelier est lié à des expériences différentes et m’a appris des leçons ce qui a finalement formé ma propre identité d’artiste, une qui porte mes propre traces d’histoire.

Les traces de vie sont des éléments importants dans ton travail, symbolisées par des traces de poussières, de saleté, des traces de doigts sur des murs, sur les portes ou dans un environnement urbain, ces traces qu’on préfère plutôt effacer et nettoyer ou de ne pas montrer, tu les reproduis à ta manière minutieusement avec tous ses détails.

Oui, mais l’ensemble de la composition est aussi important que le détail. Peut-être c’est ma faute quand la surface que je reproduis attire trop le spectateur vers l’observation du détail. Chaque trace représente un événement, une situation en particulier, un accident, une identité, mais il ne faut oublier la composition, l’ensemble du tableau, que je construit et contrôle.

« Pour moi ces compositions représentent des traces de l’histoire et non pas l’histoire des traces. »

Depuis le début de l’art abstrait, beaucoup d’artistes ont observé de plus près ces traces pour y trouver, volontairement ou pas, une Gestalt.

Tu parles de contrôler la composition. Es tu un obsédé du contrôle ou est-ce que tu lâches prise aussi pour accepter des accidents imprévus dans ton travail ?

Non, je ne contrôle absolument rien.
J’avoue que j’aime pousser les limites techniques du dessin jusqu’au bout. D’ailleurs il y a des artistes remarquables qui vont encore plus loin jusqu’à effacer complètement l’usage des mains. Je connais mes limites et j’ai appris à les utiliser comme un outil. Si tu résous chaque problème technique, il n’y a plus rien. Et la peinture demande aussi de trouver des solutions à des contraintes.

Dans ces recherches de solutions est-ce que tu demandes aussi du conseil à ta femme Georgia Russell ?

Nous venons voir l’atelier de l’autre pour donner notre avis, surtout dans les moments un peu critique, quand nous détestons tout et doutons avant une exposition. Nous nous encourageons quand c’est bien,  tout en critiquant aussi les mauvais choix si besoin. Même si je dois avouer accepter moins facilement la critique, nous sortons de ces moments de doute finalement plus fort.

En ce moment la galerie Karsten Greve à Cologne présent ton travail le plus récent, sous le titre « Offerings ». Il a comme sujet les traces de cette croix qui est tombé de toit de la cathédrale de Caracas en 1967 pendant ce grand tremblement de terre.
Y-avait-il en choisissant ce sujet aussi un besoin de reconnecter avec le Venezuela que tu as quitté il y’a 18 ans ? 

Oui, la distance et le temps étaient un déclencheur pour cette série de tableaux, mais comme beaucoup de mes projets, sans vraiment le chercher. Les éléments étaient parfaits: Un événement spirituel qui se passe sur un fait historique qui a créer pleins de fissures et trous, une belle métaphore à l’actuelle crise au Venezuela, une connexion personnelle et un défi technique en tant que peintre.

« J’ai commencé ce projet il y a deux ans pendant lesquels j’ai fait des nombreuses et importantes connexions et rencontres qui m’ont aidé à reconnecter avec l’endroit ou j’étais né. »

Quand je suis venue à ton studio, la première chose que tu as fait, avant de commencer à peindre, était mettre un disque. Est-ce que la musique est importante pour toi ?

Oui, je suis très attaché à la musique. Il y a presque toujours du son qui sort de mes enceintes. Si ce n’est pas de la musique, c’est la radio ou un livre audio, qui pour le moment ma seule littérature dans cette période très prise par le travail. Je tiens beaucoup à mes disques car mes frères et soeurs qui sont plus âgés que moi ne ne m’ont jamais laissé toucher leur tourne-disque.
Récemment j’ai beaucoup écouté « Cantos Campesinos » de Isaac Sasson, qui joue plusieurs instruments typiques du Venezuela et mélange des sons folkloriques et traditionnels. Le groupe « Altin Gün » de Turquie me fait aussi beaucoup danser.

Qu’est-ce qui te vient à l’esprit quand tu penses à l’Iran ?  

Je connais très peu mais je pense à l’eau de rose, le safran, Prince of Persia (le jeu vidéo qui m’a principalement collé à l’écran dans les années 90.), des bons amis et des gens très beaux.

Il y a aussi une vraie connexion entre le Venezuela et l’Iran et j’aimerais qu’elle aille au delà des intérêts  géopolitiques, avec un focus plus sur un échange culturel et sur la fraternité.

C’est un endroit que j’aimerais visiter.

Credits:
Photos par Anahita Vessier
Texte: Anahita Vessier
Traduction: Anahita Vessier
Raul Illarramendi Instagram

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GIDEON RUBIN, Artisan des souvenirs sans visage

GIDEON RUBIN, Artisan des souvenirs sans visage

Gideon Rubin est un artiste israélien contemporain, et une étoile montante de la scène internationale de l’art.

Son travail artistique évoque la mémoire de quelque chose qui est sur le point de disparaître. En floutant les détails d’identification, en supprimant les traits des visages des humains, il invite le spectateur à compléter ces détails inexistants en utilisant ses propres souvenirs. Ce « dialogue » crée une relation très personnelle entre l’œuvre et l’audience et évoque un sentiment d’intimité et de nostalgie.

Le fait d’être le petit-fils de Reuven Rubin, le célèbre peintre israélien, a-t-il influencé ta décision de devenir peintre ?

Avec le recul aujourd’hui, c’est évident que oui, mais cela a pris beaucoup de temps à se manifester.

J’avais 22 ans quand j’ai commencé la peinture et si on m’avait posé la question au sujet de ma carrière ou de mes perspectives d’emploi les moins probables, peintre aurait été en tête de liste, principalement à cause de mon grand-père et du statut qu’il occupait dans le canon de l’art Israélien. Pendant des années, pour moi, son œuvre était entachée par la renommée de son travail chez moi en Israël.

« Ce n’était pas une simple fleur, ou une maison, ou un portrait, c’était un Rubin avant tout. »

Je pense que c’est la raison principale pour laquelle j’ai choisi devenir peintre en dehors d’Israël quand j’ai finalement trouvé dans la peinture une vraie vocation. C’est seulement à ce moment-là, loin de la maison, que j’ai finalement découvert son œuvre ; la sensibilité, l’application des peintures, les tonalités et combien de tout cela circulait aussi dans mon propre ADN.

Tu étais à New York le 11 Septembre 2001. Cette expérience a-t-elle eu une influence sur ton travail ?

Cela a changé ma vie et définitivement mon travail aussi.
Avant le 11 septembre, j’avais d’habitude de peindre à partir de l’observation, en me concentrant sur des autoportraits à figures complètes qui prenaient des mois à terminer.

Quand je suis rentré à Londres avec le premier vol qui a pu quitter NY, j’avais l’impression de m’évader de l’enfer. J’étais tellement content d’atterrir à Londres, j’avais envie d’embrasser le sol mais je ne pouvais plus peindre comme avant. Je ne pouvais plus me regarder dans un miroir et donc j’ai commencé à faire des petites peintures de nature morte en illustrant des jouets.

Au lieu de peindre un portrait pendant trois mois, j’ai peint trois tableaux par jour. Ça m’a donné le sentiment d’évacuer un immense fardeau. En tant qu’artistes, nous sommes chanceux d’avoir notre travail qui nous permet de faire face à toute cette merde qui se passe autour de nous.

Etant une sorte de « artisan des souvenirs » chaque peinture possède ce détail des êtres humains sans traits de visage. Quelle est la raison, l’intention, derrière ces portraits sans traits caractéristiques du visage ?

Avant tout il s’agit d’un outil d’abstraction, un outil que j’aime utiliser pour diriger et disséquer ce que je vois et la surface d’une peinture. Il s’agit de la simplifier.
J’ai toujours été fasciné, en grandissant, par les petites silhouettes dans les tableaux de paysages de mon grand-père ; de simples petites gouttes de peintures pour décrire un visage, des membres ou un corps. Dans mon travail j’essaie de trouver un équilibre entre le général et le spécifique, entre le « public » et « l’individuel », ce que je trouve fascinant.

Quand j’ai commencé à effacer les traits caractéristiques du visage, c’était quelque chose complètement différent. En peignant de vieux jouets, je réagissais à la suppression physique des traits de visage d’une poupée après des années de manipulation et de jeu avec des enfants. Revenant progressivement à l’art du portrait, j’ai découvert assez rapidement que je peux décrire ce que je veux sans les traits de visage.

 » J’ai été et je suis toujours fasciné par le nombre d’informations que nous rassemblons en dehors de notre visage. »

Notre maniérisme, notre style, la façon de nous habiller, de marcher etc. Nous nous « lisons » les uns les autres, chaque portrait humain, d’abord et avant tout par les traits du visage ; ensuite vient tout le reste. Je suis intéressé par le fait d’inverser ce processus : faire en sorte que tout le reste compte d’abord et puis laisser une ouverture, un point d’interrogation, une histoire qui n’est pas déjà écrite. Pour moi, l’acte d’effacer est si tout aussi important et positif que de le marquer.

Lorsque tu travailles sur un tableau, comment est-ce que tu perçois le temps dans ces moments très intenses et créatifs ?

C’est difficile d’exprimer ces moments par des mots, surtout quand les mots ne sont pas forcément ton truc et que tu ne veux pas paraître ringard.

Mais si je dois l’expliquer, je peux dire que j’ai appris à ne pas chercher ces moments. Il faut simplement travailler, encore et encore. Si ces moments arrivent, tant mieux, tu es dans l’action et il n’y a rien d’autre, mais dès que tu commences à y penser, à reconnaître que tu es ou étais « dedans », alors à ce moment-là, c’est déjà fini.

Y-a -t-il un auteur, un artiste, un musicien qui a changé ta perception de l’art et qui t’a inspiré dans ton processus de création ?

Velasquez, Goya, Rembrandt, Chardin, Soutine, Guston, Manet, Bacon, Freud, Morandi, Alys, Richter, Rotheko, Matisse, Picasso, Diebenkorn, Hemingway, Kerouac, Camus, David Grossman, Primo Levy, Leonard Cohen, Bowie, Dylan, Allen, Tarantino, Almodovar, Nina Simone, la liste est longue …

Qu’est-ce que tu ressens quand tu viens de terminer un tableau et tu le regardes ?

La déception, comme si je pouvais faire mieux. Parfois c’est vrai, parfois heureusement non.

Y-a-t-il une citation, un proverbe qui te guide dans la vie ?

“ L’inspiration existe mais elle doit te trouver lorsque tu es en train de travailler » (Pablo Picasso).

« Un intellectuel exprime une chose simple d’une manière compliquée. Un artiste exprime une chose compliquée d’une manière simple » (Charles Bukowski).

Est-ce que tu travailles en écoutant la musique ? Quel est l’artiste que tu écoutes le plus en ce moment dans ton atelier ?

Ça change, en ce moment j’écoute un peu de soul comme Erica Badu, Lauryn Hill et comme d’habitude mon Jazz démodé, Nina Simone, Coltrane, Miles Davis et un peu de Bowie et Leonard Cohen. Récemment j’ai remarqué que j’écoute davantage de musique classique. Du piano, beaucoup de piano…

Tu étais récemment invité au Musée d’Art Contemporain de Chengdu en Chine à une exposition collective sous le titre « La mémoire va si loin que ce matin ». Cet évènement t’a également donné l’occasion de visiter la province de Xinjiang où habitent les ouïghours, une minorité ethnique qui pratique l’Islam. Comment était cette expérience pour toi ?

C’était vraiment très exceptionnel, une expérience unique. Mon épouse, même si elle est originaire de la Chine continentale, est née au Xinjiang, à Korla, d’où mon intérêt particulier, et j’avais également beaucoup entendu parler de la communauté Türk au sein de laquelle elle est née. Leur apparence physique est plus proche des populations Israéliennes que des populations Chinoises et ma femme m’a toujours dit que j’adorerais leur cuisine.

« Elle avait raison à de nombreux égards et je pouvais trouver de nombreuses similarités entre les ouïghours et les populations du Moyen Orient. »

C’était une expérience très différente par rapport à un voyage normal en Chine, principalement du fait d’une sécurité très rigoureuse, résultat de plusieurs années de troubles politiques, ce qui, je dois le dire, a ajouté un sentiment de malaise, mais cet immense région a beaucoup plus à offrir : une histoire unique de l’ancienne route de la soie qui est incroyablement préservée, en raison des conditions météorologique et d’un climat très sec, ainsi qu’aux sommets enneigés des montagnes les plus hautes qui ressemblent beaucoup aux Alpes suisses.

Des marchés vibrants pleins d’épices aux objets artisanaux et à ces belles femmes voilées, tout semblait faire partie d’un autre temps et d’un lieu quasiment magique.

Qu’est-ce qui te vient à l’esprit quand tu penses à l’Iran ?

En général je pense toujours au plaisir que j’éprouve à rencontrer des Iraniens depuis que j’ai déménagé à New York et à Londres. Selon moi, nous avons beaucoup de choses en commun et beaucoup à apprécier. La première chose qui me vient à l’esprit est la cuisine iranienne, le cinéma « Une Séparation », « A propos d’Elly »…

Je trouve aussi que c’est dommage que je ne puisse pas visiter l’Iran.

Je vois les points de rencontre, le dialogue, l’art.

Credits:
Portrait de Gideon Rubin par Shira Klasmer
Toutes les autres photos par Richard Ivey
Tableaux:
– « Le garçon », 56x51cm, l’huile sur toile, 2011
– « sans titre », 66x71cm, l’huile sur toile, 2012
– « Etang », 200x150cm, l’huile sur toile, 2016
– « Photo de classe de 1947 (dernière année) », 12 tableaux chacun –  25x20cm, l’huile sur toile, 2012
– « Le bandeau jaune », 107x102cm, l’huile sur toile, 2015
– « Policiers », 35.5×30.5cm, l’huile sur toile, 2015
– « sans titre », 26x19cm, gouache sur papier, 2015
– « Crépuscule », 150x200cm, l’huile sur toile, 2016
Texte: Anahita Vessier
Traduction: Anahita Vessier
http://www.gideonrubin.com/

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MATHIAS KISS, L’artiste à la main d’or

MATHIAS KISS, L’artiste à la main d’or

Mathias Kiss, artiste français, iconoclaste et dandy en blouse blanche, qui préfère de loin le franc-parler, est un personnage insolite et touchant, d’une énergie créative débordante et qui aime flirter avec les limites. Dans son oeuvre, il casse les conventions techniques et esthétiques de l’art classique, cherche des nouveaux codes et associe le classicisme français avec l’avant-garde.

Ses installations démesurées et déstructurées sont exposées dans des galeries et musées les plus prestigieux, au Musée des Arts Décoratifs et au Palais de Tokyo à Paris, et son univers séduit des maisons de luxe comme Hermès ou Boucheron.

Comment est née ta vocation d’artiste ?

J’ai commencé à l’âge de 14 ans un apprentissage peintre-vitrier et puis à l’âge de 17 ans,  j’ai décidé de rejoindre les Compagnons du Devoir où je suis resté pendant une quinzaine d’années.
Si j’en avais eu la possibilité, j’aurais adoré faire les Beaux-Arts. Mais ce parcours m’a finalement donné les outils et le savoir-faire pour pouvoir faire ce que je fais aujourd’hui.

Pour moi, l’art est quelque chose qui vient de mon vécu imprégné d’un certain traumatisme, mais que j’ai essayé de contrebalancer par la suite.

D’où provenait ce traumatisme ?

Quand tu es peintre en bâtiment, ça fait plutôt fuir les filles !

C’est compliqué d’arrêter l’école à 14 ans et de commencer à travailler. Pour la plupart des gens, cela n’était absolument pas attirant. Tout le monde faisait le bac, ou un métier col blanc, graphiste etc. C’était dur, de se sentir seul, d’être un peu « en marge ».

Comment peut-on te définir ? Artisan ? Artiste?

Au départ chez les Compagnons, tu veux juste être un bon artisan, ressembler à ton chef qui se fâche contre toi et te crie dessus si le ciel au plafond n’est pas parfaitement peint.

Jamais il ne me serait venu à l’esprit une question telle que « Pourquoi je ne fais pas le ciel en rouge ? ».

C’est plus tard que j’ai pu m’émanciper, me libérer des dogmes et aller vers l’art.

D’ailleurs, au début de ma carrière d’artiste, les gens ne savaient pas où me classer, dans la déco, dans l’artisan, ou dans l’art. Heureusement, il y a eu des personnes qui m’ont fait confiance et qui ont ensuite encouragé d’autres personnes à acheter mes œuvres.

D’où vient cette envie de casser les normes ?

Chez les Compagnons, j’ai grandi avec un compas et une équerre, ce qui symbolise les dogmes, le 90 degrés, le niveau. Mais j’ai fini par asphyxier dans les règles qui m’étaient imposées. Personne de mon âge ne s’intéressait à mon travail. C’était trop classique, trop rigide. J’avais envie de casser les normes, de me libérer des diktats techniques et esthétiques.

Je me suis demandé comment il serait possible de préserver les codes historiques du savoir-faire français et de les intégrer dans un contexte contemporain.

Il y a deux grands courants dans mon travail :

« Sans 90° », qui réunit des œuvres comme mes miroirs froissés, la banquette Igloo, le tapis Magyar, toutes sans angle droit.

Et aussi les « Golden Snake » ce que je décris comme libération d’éléments d’architecture habituellement en plâtre et qui questionnent le savoir-faire et la démarche artistique.

En quoi l’or est-il un matériau intéressant qui prend un rôle très important dans ton œuvre ?

L’or, c’est la lumière, c’est la vie. Ce n’est pas uniquement l’opulence ou le doré un peu kitsch et passéiste.

L’or permet aussi d’engager une réflexion sur le pouvoir, celui de la séduction des femmes à l’aide d’accessoires et de bijoux, celui des hommes qui se sont battus depuis toujours pour le posséder.

Envisages-tu d’autres défis que tu aimerais ajouter à l’œuvre de Mathias Kiss ? 

En tant que compagnon, j’ai travaillé sur des chantiers à la Comédie Française, à l’Opéra Garnier, au Conseil d’État, et dans d’autres palais de la République française. Au fil du temps, je ne me suis plus trouvé dans ce travail et je suis parti plus vers l’art contemporain

Un bon mélange des deux serait de faire des installations dans l’espace public, une sorte d’hommage à Paris, la ville musée.

Je pense par exemple à une adaptation de la corniche que j’ai faite pour le Palais de Tokyo pour un usage urbain où les enfants peuvent monter dessus et les gens peuvent s’assoir.
Ça serait vraiment un projet intéressant et un bon défi.

Ces grands espaces et grands murs blancs ne te font pas peur ?

Plus c’est grand, plus je kiffe ! Ça représente d’immenses pages blanches sur lesquelles je peux imaginer des installations.

Ayant pratiqué la boxe thaïe en compétition jusqu’à l’âge de 30 ans, tu as fait une séance de boxe avec le champion du monde Patrick Quarteron devant ton installation « Golden Snake » au Palais de Tokyo pour le magazine Numéro.
Selon toi, existe-t-il un lien entre l’art et la boxe?

 Souvent les gens ne voient pas le lien entre les deux univers.

Qu’est-ce que c’est un boxeur si ce n’est un homme à poil qui vient pour gagner, pour être applaudi par les spectateurs. C’est une sorte de narcissisme et d’exhibitionnisme total, ou un besoin de l’amour et de lumière qui est finalement proche de l’artiste.

Être un artiste est aussi lié à une mise en danger, prendre des coups, se jeter dans le vide.

Sur quel(s) projet(s) travailles-tu en ce moment ?

Sur une carte blanche pour le Palais des Beaux-Arts à Lille pour avril 2019.

Qu’est-ce qui te vient à l’esprit quand tu penses à l’Iran ?

L’incroyable fête organisée par le Shah d’Iran pour célébrer le 2500e anniversaire de la fondation de l’Empire Perse. C’est dingue qu’on en parle encore aujourd’hui. Elle est presque devenue un monument en elle-même, une sorte de symbole très fort.

Credits:
Toutes les photos par David Zagdoun
Sauf:
Image sur Home de Mathias Kiss par Wendy Bevan
Photo de Mathias Kiss et Patrick Quarteron au Palais de Tokyo par Stéphane Gallois pour Numéro
http://www.mathiaskiss.com
Text: Anahita Vessier

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HORMOZ HEMATIAN & ASHKAN ZAHRAEI, Electric Room, l’art sous haute tension

HORMOZ HEMATIAN & ASHKAN ZAHRAEI, Electric Room, l’art sous haute tension

La scène de l’art à Téhéran est vivante et riche avec des artistes extrêmement talentueux dont beaucoup sont nés après la Revolution Islamique.

Hormoz Hematian, fondateur et gérant de la Galerie Dastan, un des espaces le plus branché et pointu dans l’art contemporain de la capitale iranienne, et son ami Ashkan Zahraei, curateur et responsable de la communication chez Dastan, voyagent constamment autour du monde, entre Téhéran et les foires de l’art les plus importantes pour promouvoir le travail de leurs artistes et pour developper des collaborations internationales.

Ces deux workaholics avec une passion inconditionnelle pour l’art ont des milliers d’idées en tête et n’ont pas peur des défis. Ils ont lancé en 2017 « Electric Room », certainement un des projets le plus fou, intense et ambitieux qui font Téhéran un vrai recevoir de créativité et un des lieux le plus intéressant et dynamique de l’art contemporain.

‘Electric Room’ est un projet d’art très intéressant et ambitieux que vous avez développé et introduit sur la scène de l’art en Iran. Comment est née cette idée ?

AZ: Téhéran a une communauté de l’art plutôt restreinte. Dans le cadre de mon travail en tant qu’écrivain et curateur pour la Galerie Dastan et autres, j’ai rencontré beaucoup d’artistes qui avaient envie de faire des installations artistiques mais il manquait l’espace approprié pour ce genre de projet expérimental.

C’est pour cette raison qu’Hormoz et moi avons eu l’idée de lancer le concept d’Electric Room.

Le concept était de montrer 50 projets d’art en 50 semaines en présentant chaque semaine une nouvelle exposition et aussi des artistes moins connus. Donc un projet avec un début et une fin bien définie.

C’est un grand défi ! 

HH:  Oui, le défi était énorme ! C’est plus d’expos que certaines galeries font en 5 ans.

J’ai trois galeries à Téhéran, et il me manquait parfois la spontanéité dans l’organisation d’une exposition. Electric Room nous a permis de retrouver le côté romantique de l’art.

En juin 2017, nous avons donc ouvert ce nouvel espace, d’une petite superficie de 30m2, au centre de Téhéran, juste à côté de l’Université d’Art et d’Architecture, et tout près des Beaux-Arts et autres institutions culturelles importantes. C’est un quartier très animé, avec une super ambiance et pleins d’étudiants.

Nous avons donné le nom « Electric Room » au projet car un mur de cet espace d’exposition est presque entièrement couvert de tableaux électriques et d’unités de contrôle. C’est un endroit très cool et hors du commun.

AZ: Heureusement nous sommes tous les deux des workaholics !

Le projet était à la fois fabuleux et tellement intense. Nous voulions offrir aux gens une expérience unique.

Il fallait démonter chaque exposition en une journée seulement pour ensuite peindre les murs et installer la nouvelle exposition, et le même déroulement toutes les semaines pendant 14 mois. C’était un rythme de dingue !

Et comment était la réaction du public iranien ?

HH: La réaction était fantastique !

A chaque vernissage l’ambiance était incroyable, littéralement « électrique ».

Nous avons eu tellement de monde qu’il n’y avait pas assez d’espace pour tous les visiteurs à l’intérieur de la galerie.

Quel type de personnes étaient présentes aux vernissages ?

HH: De bonnes personnes. Des jeunes, des vieux, des amoureux de l’art, des clients potentiels, des gens qui normalement ne visitent pas les galeries mais qui adoraient l’ambiance et qui étaient impressionnées par l’espace. Chaque vernissage durait 4 à 5 heures.

AZ: Nous avons aussi invité les autres galeries de Téhéran pour leur présenter les artistes.

L’idée fondamentale d’Electric Room était d’être spontané, ouvert d’esprit, accessible et généreux.

Vous avez présenté 50 projets artistiques de 50 artistes différents en 50 semaines. Comment avez-vous réussi à trouver cette grande variété d’artistes ?

AZ: Nous avons mis le focus sur plusieurs types de projet :

Des installations, des présentations d’un seul objet d’art, des projets multimédia et vidéo et aussi des projets d’archive, comme par exemple l’exposition « OVNI à Téhéran ».

Je suis fasciné par les Ovnis et cette exposition était une présentation basée sur des archives sur l’apparition d’Ovni en 1976 au-dessus de Téhéran. Nous avons montré des documents, des articles et des films qui étaient faits à ce sujet à l’époque. J’aime vraiment l’idée qu’un projet non-artistique puisse aussi devenir art.

HH: Au début certains artistes étaient un peu sceptiques car c’était une façon très inhabituelle de présenter des œuvres artistiques. Ils ne voulaient pas prendre le risque. Donc nous avons commencé avec les artistes qui nous ont fait confiance.

AZ: C’est pour cette raison que nous avons collaboré au début d’Electric Room avec des artistes avec lesquels nous avons déjà travaillé à la galerie Dastan, comme Sina Choopani, Mohammad Hossein Gholamzadeh, Meghdad Lorpour, notamment.
Le fait d’exposer leurs œuvres a donné confiance aux autres artistes pour y participer aussi.

Nous avons eu la chance de travailler avec des artistes extrêmement talentueux en Iran. Certains refusaient même auparavant des collaborations avec des galeries.

Parmi ces artistes, il y a des iraniens qui vivent et travaillent à l’étranger. Pourquoi est-ce important pour eux de montrer leur travail à Téhéran dans votre galerie ?

AZ: Electric Room avait une portée très vaste avec un programme détaillé.

Les artistes avaient envie de faire partie de cette expérience extraordinaire et de présenter leurs œuvres dans ce contexte atypique.

Avec Electric Room et la Galerie Dastan vous travaillez sur des projets artistiques de très haut niveau, ce qui vous a permis d’obtenir une excellente réputation au niveau international dans le milieu de l’art. D’ou vient initialement cet amour pour l’art?

AZ: Pour moi; l’art est le mélange combiné de la formation universitaire (l’écriture, les théories critiques) et de la pratique.

Autant la théorie et la littérature peuvent donner un aperçu vers le monde, autant l’art est un meilleur moyen pour créer un dialogue et une communication.

HH: Mon grand-père était un général avant la revolution; après la chute du Shah, il a quitté l’armée et s’est consacré à la peinture, et il est devenu un artiste autodidacte.

Quand je lui rendais visite dans sa maison au Khorasan, il y avait une chambre dédiée aux peintures, une autres à la calligraphie, et une pièce de musique avec tous ses instruments.
Il y avait une vraie magie. Et j’ai vu comment l’art lui a sauvé la vie.

Est-ce que la politique de Trump et ses sanctions contre l’Iran ont mis une fin au boom du marché d’art iranien ?

AZ: Non. Les vrais artistes vont toujours trouver un moyen d’exprimer leurs idées. S’il n’y a plus de peinture ou du papier de haute qualité dans les magasins, ils utiliseront des outils moins coûteux mais ça ne les arrêtera pas d’être créatifs, d’être des artistes.

Ayant vécu cette expérience bien intense d’Electric Room pendant 50 semaines sans interruption, quels étaient vos sentiments pendant la toute dernière exposition du projet ?

HH: Très émotionnel.

AZ: Au début je ne savais pas vraiment ce que je devrais ressentir, mais le dernier jour était définitivement très triste. Au fond de moi, je savais qu’il était nécessaire de finir ce projet incroyable que nous avions commencé, mais il fut malgré tout très difficile de le lâcher.

Credits:
Toutes les photos d’Hormoz Hematian et d’Ashkan Zahraei:  Roxana Fazeli
(certaines montrant le travail d’Atefeh Majidi Nezhad’s « Revision: Zero-G »)
Toutes les photos des expositions à l’Electric Room : Dastan Gallery
Photo exposition 1: « Unsafe zone/domestic production » par Amin Akbari
Photo exposition 2: « The champion » par Mohammad Hossein Gholamzade
Photo exposition 3: « We are » par Sina Choopani
Photo exposition 4:  « Memebrain » par Taba Fajrak & Shokoufeh Khoramroodi
Photo exposition 5: « Inevitably inescapable » par Siavash Naghshbandi
Photo exposition 6:  « Tehran UFO project »
Photo exposition 7:  « Tangab » par Meghdad Lorpour
Photo exposition 8: « Mutual tongue » par Milad Nemati
Photo exposition 9: « The shaving » par Farrokh Mahdavi
Photo exposition 10: « Interview » par Sepideh Zamani
https://dastan.gallery
Electric Room 
Texte: Anahita Vessier
Traduction: Anahita Vessier

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CHRISTELLE TÉA, Le mystère de la vérité décrite

CHRISTELLE TÉA, Le mystère de la vérité décrite

La première fois que j’ai rencontré Christelle Téa, j’étais intriguée par ce personnage au visage de porcelaine, telle une chinoise des années 30, avec un petit chapeau excentrique dans ses cheveux et vêtue d’une petite robe noire. Elle m’a fait penser à l’héroïne de « L’ Amant » de Marguerite Duras. C’est ce contraste entre son apparence extravagante et ce côté juvénile, mêlée à une forme de sincérité naïve, qui m’a particulièrement marquée.

De nature timide et discrète, j’ai découvert l’autre facette de Christelle pendant notre shooting aux Beaux-Arts de Paris où, posant devant la caméra, ce corps si fragile dégage soudainement une force, une confiance inattendue. Christelle sait jouer avec son image.

Amenée par le destin à l’art avec ce talent extraordinaire, Christelle Téa dévoile dans son œuvre d’une manière virtuose la vérité d’un instant avec tous ses détails et invite le spectateur à la lecture et relecture du moment.

D’où vient ta passion pour le dessin ?

Je dessine depuis que je suis petite. Mes parents tenaient un restaurant chinois et j’y passais tous mes après-midi après l’école. Ma sœur et moi nous nous y sommes beaucoup ennuyées. Un jour, j’en ai parlé à ma mère et elle m’a donné un carnet et un stylo avec lequel on prenait les commandes des clients au restaurant. C’est à partir de ce moment-là j’ai commencé à dessiner tout le temps.

C’était pour moi non seulement une occupation mais aussi un moyen de m’exprimer car j’étais très timide. J’étais une enfant très réservée et silencieuse.
Jusqu’à l’âge de six ans, je ne parlais pas le français même si je suis née en France et que j’ai vécu toute ma vie en France.

 A la maison on parlait uniquement le Teochew, un dialecte du Guangdong que l’on parle dans sud-est de la Chine.

Donc au début de ma scolarité je me suis sentie comme un extra-terrestre, je ne comprenais pas ce qu’on me disait.

Le dessin m’a aidé à m’évader, à m’exprimer, à me faire comprendre. Pour moi, le dessin était avant tout un moyen d’expression et de communication.

Donc c’est à partir de ce moment-là que tu as décidé de devenir artiste ?

Ma mère m’a dit que si elle avait su, elle m’aurait plutôt donné une calculatrice ; et pour mon père ce n’était absolument pas une voie envisageable pour gagner sa vie.

J’ai découvert La Joconde ou Picasso au collège grâce au cours d’art plastique.

Quelques années plus tard, j’ai eu cette énorme chance d’être acceptée aux Beaux-Arts de Paris. C’est un véritable paradis pour faire ses études d’art. On sélectionne ce qu’on veut, on mélange, on expérimente dans un cadre époustouflant.

Donc c’est finalement le destin qui m’a amené à devenir artiste.

Tu es allée en Chine pendant tes études pour un échange avec les Beaux-Arts de Pékin. Cette expérience t’a-t’elle permis de renouer avec tes racines chinoises?

Absolument!
Ces six mois à Pékin m’ont aidé à reconnecter avec mes origines chinoises et à observer aussi la très grande différence entre la façon d’enseigner en France et en Chine.

Pendant mes études en Chine, il fallait uniquement apprendre une seule technique, et surtout pas en mélanger plusieurs. Ce qui permet de maîtriser parfaitement bien une discipline. J’ai choisi de me concentrer sur les études de la gravure sur bois avec Maître Xu.

Quand j’avais du temps libre, je me baladais en ville avec mes outils de dessin. Je me sentais libre comme un oiseau !

J’ai dessiné dans les rue, les marchés, les musées et les hutongs de Pékin.

Tu es alors toujours équipée d’une planche, de feuilles de papier et d’un stylo avec un réservoir de l’encre de Chine. Un véritable atelier mobile ! N’aurais-tu pas envie d’avoir un atelier fixe?

Pendant ma résidence d’artiste au musée Jean-Jacques Henner à Paris, j’avais un atelier pendant six mois mais il est resté vide la plupart du temps car je m’en servais pas.

Pour mon travail j’ai besoin de la vie, du mouvement.

Cette vie, ce mouvement dont tu parles, tu les captes aujourd’hui en réalisant beaucoup de portraits de personnes dessinées sur le vif sans esquisse. Tu les dessines en situation, dans leur maison, leur lieu de travail ou aucun détail ne t’échappe. Est-ce que c’est important pour toi que les gens soient contents de leurs portraits ?

Non.
Je ne cherche absolument pas à faire une éloge de la personne que je dessine.

Ce qui m’intéresse dans ces portraits réalisés in situ est le monde qui les entoure, la réalité immédiate avec les détails qui ne doivent pas être vus mais qui existent, par exemple la pieuvre de fils électriques en dessous d’un bureau marqueté Louis XV ou un piano qui ne parvient pas à dissimuler le tuyau d’un aspirateur.

C’est là que se trouve une partie de la vérité, dans ces détails.

A cet égard, j’aime bien la citation du photographe Garry Winograd qui disait :

« Il n’y a rien de plus mystérieux qu’un fait clairement décrit. »

Je n’essaie pas de flatter la personne que je dessine, ni faire une reproduction photographique d’elle et de son environnement familier. Elle devient plutôt un élément parmi d’autres de la composition dans laquelle chaque objet, chaque livre, chaque instrument de musique, chaque tableau, est illustré avec autant de soin et précision que le personnage central.

Et quand tu ne dessines pas ?

Quand je ne dessine pas, je pratique le chant lyrique au Conservatoire du 16ème arrondissement dans la classe d’Alexandra Papadjiakou.

La musique et le dessin sont très importants et complémentaires pour moi. Tous les deux sont une forme de respiration, de créativité et d’expression.

C’est d’ailleurs de cette passion pour la musique que sont nées mes grandes fresques inspirées des opéras comme Les Contes d’Hoffmann d’Offenbach ou Faust de Gounod dans lesquelles je me suis mise en scène moi-même.

En tant que passionnée de musique et d’art, quels sont les artistes qui te fascinent ?

En musique, Bernstein, Mozart, Puccini.

En dessin, Hockney, Dürer et Sam Szafran qui a donné aussi beaucoup d’importance aux détails dans ses dessins et qui n’allait jamais à ses propres vernissages.

Et toi, aimes-tu assister à tes vernissages?

Oui.
C’est important d’y aller pour voir qui s’intéressent à mes dessins.
Et aussi par respect pour les gens qui se sont déplacées pour découvrir mon travail.
Au-delà de cela, c’est aussi un moment agréable à passer avec mes amis.

Qui te vient à l’esprit quand tu penses à l’Iran?

Je pense au photographe Ali Mahdavi dont j’ai fait le portrait.
J’adore son travail.

Credits:
Toutes les photos de Christelle Téa:  Marion Leflour
Tous les dessins: Christelle Téa
Dessin 1: Jean Michel Frouin, artiste peintre et menuisier, 2015, Encre de Chine sur papier, 65 x 50 cm
Dessin 2: Galerie de Morphologie aux Beaux-Arts de Paris, 2012, Encre de Chine, 50 x 65 cm
Dessin 3: 2 pour 1 au marché Xiyuan, 2014, Encre de Chine sur papier, 301 x 412 mm
Dessin 4: Cécile Guilbert, écrivaine, 2015, Encre de Chine sur papier, 65 x 50 cm
Dessin 5: Concert de Christophe Chassol, compositeur-musicien, au Silencio Paris 2018, Encre de Chine sur papier
Dessin 6: Le Jugement dernier et le Colleone, Chapelle des Petits-Augustins aux Beaux-Arts de Paris, 2012, Encre de Chine sur papier, 50 x 65 cm
Dessin 7: Ali Mahdavi, artiste plasticien, réalisateur et directeur artistique de la revue « Désirs » au Crazy Horse, 2015, Encre de Chine sur papier
Merci Valérie Sonnier et Philippe Comar des Beaux-Arts de Paris de nous avoir permis de faire les photos de Christelle Téa à la galerie de morphologie.
https://christelletea.com
Texte: Anahita Vessier

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AMIN MONTAZERI, Contes et mythes de la mélancolie

AMIN MONTAZERI, Contes et mythes de la mélancolie

La scène de l’art en Iran possède des artistes extraordinaires qui parviennent à établir un pont entre leur riche héritage culturel persan et l’art moderne occidental. Amin Montazeri est très certainement l’un de ces nouveaux talents qu’il faudra suivre de près.

Quand j’ai découvert le travail de ce jeune artiste iranien de Téhéran, j’ai été très impressionnée par l’atmosphère riche, mystérieuse et apocalyptique de ses peintures et j’ai été touchée par leur mélancolie. Son travail est aussi intense et obscur que les tableaux de Pieter Brueghel ou Hieronymus Bosch.

Le sujet principal traité dans les tableaux d’Amin Montazeri est l’histoire et le rôle des contes, des légendes et des mythes dans l’histoire. Chacun de nous est confronté dans sa vie à ces contes mais parfois on essaie de s’échapper de son destin, de le changer ou d’écrire une nouvelle histoire. Quelles sont les conséquences et quel genre de récit résulterait de ce changement ?

Il questionne aussi dans son travail la récurrence de l’histoire causée par une amnésie de l’homme, même dans le cas où celle-ci serait liée à des expériences douloureuses ou terrifiantes.

Amin Montazeri est né en 1992 et poursuit des études de Master en peinture à l’Université des beaux-arts de Téhéran.

Sa prochaine exposition au lieu à la Dastan Gallery à Téhéran en octobre, et il aura probablement l’occasion d’exposer son travail à Art Dubai cette année.

Credits:
Tous les tableaux par Amin Montazeri
Texte: Anahita Vessier
Traduction: Armelle Vessier
http://www.instagram.com/aminmontazery/

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SILIA KA TUNG, La fantaisie est la réalité du monde intérieur

SILIA KA TUNG, La fantaisie est la réalité du monde intérieur

Silia Ka Tung est une artiste contemporaine chinoise basée à Londres. Son travail est un ballet psychédélique de formes organiques dans des couleurs saturées qui dansent ensemble avec des créatures mystérieuses rappelant la mythologie ancienne. Le mélange de ce paysage de rêve et l’influence de la culture et de la tradition chinoises rendent l’art de Silia Ka Tung hypnotisant et unique.

Qu’est-ce qui t’as décidé à devenir artiste ?

Mon grand-père du côté de ma mère était un peintre connu de l’art chinois traditionnel, donc c’était dans la famille.

Initialement je voulais être un designer. Mais lorsque je suis allée après le lycée à l’entretien à l’école de design, ils m’ont conseillé de faire plutôt les beaux-arts dans le cas où me parents me soutenaient. Ce fut la première fois que j’y ai vraiment pensé.

Tu as étudié la peinture à l’huile à Hang Zhou à l’Académie des beaux-arts de Chine et ensuite à Londres et en terminant tes études par un master à l’école d’art renommé Slade School of Fine Arts. La méthode d’enseignement en Chine est-elle différente de celle de l’Angleterre ?

Après avoir accepté au Bachelor Degree au Chelsea College of Art à Londres, j’ai fait une année aux beaux-arts en Chine car mon père pensait que j’avais besoin d’apprendre d’abord un peu de culture chinoise. C’est pour cette raison que j’ai suivi une classe préparatoire avant de partir à Londres pour faire ma licence.

« La méthode d’éducation artistique en Chine est complètement différente à la méthode anglaise. En Chine, je faisais du dessin d’après la vie de tous les jours et l’enseignement était très académique. On fait tout en groupe, le professeur vient te voir, corrige tes erreurs et te dit ce qu’il faut faire. »

L’école d’Art à Londres était libre et fun. L’enseignement était très décontracté et inspirant mais la plupart du temps on était laissé à nous-mêmes.

Il y a une réelle évolution dans ton travail. Ton travail antérieur consistait principalement en des dessins au trait en noir et blanc. Ensuite les lignes figuratives se sont dissoutes et sont devenues un beau ballet de formes abstraites et colorées de micro-organismes couvrant plusieurs toiles. 

Dans ton travail plus récent, tu as changé de la peinture à l’expérimentation avec des matières en créant notamment des sculptures avec des matières douces d’animaux fantastiques et de formes organiques tels des branches d’arbre. Pourquoi ce changement ?

« Dessiner ou gribouiller a toujours fait partie de ma vie… Je le fais automatiquement dès que j’ai un stylo dans la main. »

Pour mon exposition de fin d’année au Chelsea College j’ai décidé de passer d’une petite idée de dessin à quelque chose de beaucoup plus grand et j’ai continué ces portraits d’une grandeur nature remplie de gribouillages jusqu’à ma dernière année de master au Slade College. Après j’ai eu envie d’essayer autre chose. Je voulais faire de la « peinture de jeux », des peintures colorées, appliquer de la peinture saturée directement sur la toile, comme des dessins automatiques.

Pour moi peindre est comme un jeu avec ce côté hasard et fun et j’ai toujours peint en dehors du bord. Mais lentement j’étais attirée par la peinture sur des objets et j’ai donc commencé à faire des sculptures douces et moelleuses et à peindre par-dessus. C’est l’étape dans laquelle je me trouve en ce moment.

La maternité a-t-elle changé ton travail, tes inspirations ?

La maternité est difficile pour moi en tant qu’artiste car ça change tes priorités et ton équilibre de vie. Autant, j’adore être avec mes deux filles; autant je me bats dans mon existence en tant qu’artiste. Mais le temps aide et lentement, je regagne l’équilibre et j’espère qu’être mère a aussi un impact positif sur mon travail.

Y-a-il une phrase ou un proverbe qui inspire ton travail ?

« Tout notre monde d’intérieur est la réalité, et peut-être plus que notre monde apparent.”

Marc Chagall

Lorsque tu travailles sur une nouvelle œuvre d’art, est-ce que tu montres le travail en cours à ton mari Gideon Rubin, qui est aussi artiste, ou est-ce que tu préfères garder ta bulle créative pour toi ?

Nous travaillons dans le même studio, donc il nous arrive souvent de nous montrer les œuvres sur lesquels nous sommes en train de travailler, surtout quand mon travail prend beaucoup de temps pour être terminé. Je lui montre principalement quand j’ai besoin de son avis, peu importe si la pièce est finie ou non.

Travailles-tu sur une nouvelle exposition?

Je suis en train de finir quelques pièces pour une exposition que je partage avec deux autres artistes à Amsterdam intitulée « Père, mère, fille, fils », et organisée par Mette Samkalden au Canvas Contemporary. L’exposition commence le 14 janvier 2017 et se termine mi-février.

Qu’est-ce qui te vient à l’esprit quand tu penses à l’Iran ?

Je n’ai jamais été en Iran, donc tous les références que j’ai viennent de mes amis, des films, des médias, d’Instagram. J’ai hashtaggé « Iran » plusieurs fois sur Instagram et j’ai découvert des choses très étranges. C’est un grand pays riche d’histoire et de culture, beau et mystérieux. J’adorerais le visiter un jour.

Credits:
L’ensemble des oeuvres par Silia Ka Tung
Texte: Anahita Vessier
Traduction: Anahita Vessier
http://www.siliakatung.com/

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