SARAÏ DELFENDAHL, Chimaerae mirabiles
Pour Saraï Delfendahl, il n’y a pas de différences entre les animaux, les humains, les plantes, la matière et les symboles. Vivant en harmonie avec la nature et son art, elle crée, façonne et peint avec ses mains agiles de merveilleuses créatures mythiques en céramique entre animal et humain. Enivrée par cette énergie créative, elle pourrait travailler jour et nuit et aime se comparer à une «bétonnière» qui mélange sans arrêt influences, souvenirs, obsessions et idées.
Vos créatures imaginaires semblent sortir de rêves, de cauchemars … de quoi rêvez-vous en ce moment ?
Pour moi, il n’y a pas de différence entre le rêve, le rêve éveillé et la vie courante. Il n’y a pas non plus de différence fondamentale entre l’animal, l’humain, le végétal, le matériel et le symbolique. Mes créatures me semblent tout à fait « normales ».
D’où vient alors ce lien très profond en vous entre l’humain, l’animal, le végétal ?
Ce que j’ai vécu enfant avec mes parents a sans doute une grande incidence sur mon travail. En effet, mon père, d’origine australienne, était ethnologue et il nous emmenait souvent au Musée de l’Homme à Paris où j’étais impressionnée par l’art des différentes civilisations. Dans ces cultures que j’ai pu approcher ainsi, les liens sont très étroits entre l’humain, l’animal, le végétal, enfin l’univers…
À propos de cet art d’autres civilisations, on compare souvent vos œuvres avec de l’art brut.
L’art brut est un terme qui me paraît pouvoir définir mon travail.
Je suis d’ailleurs fascinée par les œuvres de ces femmes et hommes autodidactes, mais il me semble plus juste de parler d’art singulier…
Ma façon de travailler est en effet assez « singulière » et je ne m’inscrits pas dans quelconque mouvement artistique.
En vous observant on sent ce véritable besoin en vous du travail manuel.
Ma mère qui était artiste m’emmenait voir beaucoup d’expositions. Je ne suis allée à l’école qu’à partir de la classe de CM2. Ma mère utilisait la méthode Montessori pour m’apprendre à lire et écrire, et chaque jour je dessinais et j’inventais des histoires. J’ai aussi été initiée par elle aux richesses de la nature et à toutes sortes d’activités manuelles. Elle nous lisait des contes de tous les pays. Je me souviens encore des contes catalans recueillis par Joan Amades, en particulier celui intitulé La fille du Soleil et de la Lune.
Mes parents étaient intellectuels mais aussi très manuels : à la maison tout le monde travaillait toutes sortes de matériaux, on tissait, on faisait de la mécanique, de l’électricité, de la menuiserie, de la maçonnerie, du tissage, de la poterie, des teintures végétales, du jardinage…
Ce travail manuel, le geste, la matière, sont des éléments indispensables pour un artiste. Brancusi disait « C’est en taillant la pierre que l’on découvre l’esprit de la matière, sa propre mesure. La main pense et unit la pensée à la matière. … ».
Que ressentez-vous quand vous êtes en train de créer face à la matière, face à l’inconnu ?
Quand je suis face à la matière, je ne me sens pas face à l’inconnu. Je suis avec la matière, je me sens en harmonie avec elle, j’éprouve une grande force et une grande joie dans cette métamorphose de la matière.
J’ai rarement une idée préconçue de ce que je vais faire et si j’en ai une, il m’arrive de faire tout autre chose… Je suis à vrai dire souvent étonnée par ce que je viens de faire. La création est une jubilation, je ressens énormément d’énergie en moi lorsque je suis dans mon atelier et j’ai du mal à m’arrêter : je pourrais travailler jour et nuit.
Francis Bacon se comparait volontiers à une « bétonneuse » qui malaxe toutes sortes d’influences, de souvenirs, etc. Ce terme me convient.
Et il y a aussi ce geste très maternel, très protecteur, qu’on peut souvent voir dans vos créations. Être mère, une source d’inspiration pour vous ?
Je suis mère de trois enfants et cela a pris une grande place dans ma vie : j’ai adoré les porter dans mes bras, m’en occuper et j’ai toujours aussi beaucoup aimé les représentations des mères et enfants, notamment dans la peinture italienne. J’aime l’idée de prendre dans mes bras, de protéger. J’ai envie de protéger beaucoup d’êtres dans le monde : les enfants mais aussi les animaux, les plantes, etc.
Lorsque mes enfants étaient petits, je n’ai pas eu beaucoup de temps pour travailler dans un atelier. Grâce à eux, j’ai donc créé les « Carnets de mon quotidien fantastique » dans lesquels ils apparaissent beaucoup : ce sont des recueils de peintures et d’écriture. Ces carnets ont réussi à combler mon besoin de création pendant quelques années.
Et quand vous n’avez pas les mains dans la pâte ?
Lorsque je ne suis pas dans mon atelier, j’ai beaucoup d’autres passions, la cuisine en fait partie. Je suis très gourmande et je cuisine depuis que je suis toute petite. En préparant des plats, je suis un peu comme dans mon atelier face à une sculpture.
Credits:
Photos : Iza-Menni Laaberki
Texte: Anahita Vessier
Saraï Delfendahl Instagram
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