FATIMAH HOSSAINI, Beauté en exil
Comment vas-tu Fatimah ?
J’ai le mal du pays…
Artiste, activiste féministe, réfugiée de guerre, Fatimah Hossaini est née à Téhéran en 1993 issue d’une famille de la minorité afghane. D’une certaine manière, elle a toujours porté en elle les éléments constitutif de sa pratique artistique. Entre Iran et Afghanistan, Fatimah a étudié, enseigné et pratiqué la photographie dans une quête de vérité, celle des femmes et donc la sienne. Apatride de naissance et de culture, Fatimah cherche à renouer avec ses identités et plus encore depuis la chute de Kaboul en 2021 qui l’a contrainte à fuir le pays.
Pour commencer, pourrais-tu nous parler de toi et de tes débuts photographiques ?
Pour me connaître, il faut comprendre où tout a commencé.
Mes grands-parents ont été forcé de quitter l’Afghanistan pour l’Iran en 1918, pendant la guerre soviétique. Même si les nouvelles générations sont nées en Iran, je ne peux pas être iranienne, c’est lié au sang.
À 14 ans, mon premier rapport à l’art fut celui à la peinture dont je suivais des cours. Bien que pour moi l’art était sérieux, je ne pensais pas que cela pouvait changer ma vie. Cependant, lorsque j’ai commencé les mathématiques à l’école, mes parents voulaient que je devienne ingénieure. J’ai donc commencé des études d’ingénieure pendant quatre ans : les pires années de ma vie. Lors de la dernière année, j’ai commencé à prendre des cours de photographie. Ce support me permettait d’être plus rapide qu’avec la peinture pour ainsi mieux saisir le résultat que je voulais. Après ces cours et tant de luttes, notamment avec ma famille, j’ai obtenu une bourse à l’université de Téhéran.
J’ai commencé une deuxième licence. J’étais l’ingénieure ratée qui commençait la photographie en partant de zéro, c’était une grande affaire pour moi et ma famille. Je suis le premier enfant d’une famille du Moyen-Orient : Peux-tu imaginer ? J’ai ensuite travaillé dans des ateliers iraniens, j’ai exposé mon travail puis j’ai décidé de retourner en Afghanistan après l’obtention de mon diplôme.
Après mon troisième séjour à Kaboul, j’ai décidé de m’y établir. J’ai commencé à enseigner à l’université de Kaboul dans le département de photographie. Après la guerre civile en Afghanistan, le niveau entre les universités de Kaboul et de Téhéran était très inégal. Parallèlement, j’ai créé mon organisation, Mastooraat Art Organization for Women and Art, pour l’autonomisation des femmes par le biais de l’art et de la photographie.
En parlant de ton association, on aimerait te demander quelle est l’importance des des femmes dans ta vie et ton travail.
Pour moi, c’est très important en raison de mon histoire et d’où je viens. Lorsque l’on voit à Paris comment les femmes occupent les rôles décisionnels, je ne peux que rêver qu’il en soit de même un jour en Afghanistan, même si cela prend un siècle. Le concept de femme est tellement beau. Quand je pense à l’Afghanistan, c’est toujours à cause des hommes. Ils ont commencé les guerres, mais les victimes ont toujours été des femmes. Lorsqu’un pays ne connaît jamais la paix, c’est toujours à cause d’un comportement irrespectueux à l’égard des femmes.
Lorsque j’étais à Téhéran, je n’avais pas d’image claire des femmes en Afghanistan et j’ai donc lancé “Beauty and War”, un projet photo que je voulais vraiment réaliser. Ma sœur et ma mère ont été les premières femme que j’ai photographiées. Lorsque j’y suis allée, j’ai réalisé à quel point ce pays était coloré et beau, mais que personne n’en parlait. Je pense que parfois les images, comme les photos, sont plus fortes que les mots ; en réalité, c’était aussi une façon d’exprimer mes sentiments.
À Kaboul, j’ai créé de véritables amitiés qui m’ont permises de demander à ces femmes de les prendre en photo. Je pense qu’on a une perspective très claire et honnête lorsqu’une femme est en face de nous. En tant qu’Afghane, je suis passée par les mêmes luttes que ces femmes, ce qui me permet de mieux les comprendre.
Comment as-tu éviter de tomber dans la photographie documentaire ?
Certaines de mes photos sont naturelles et spontanées, mais en réalité mon travail est un mélange de photographies mises en scène et naturelles.
Mon travail n’est pas réel, mais en même temps il l’est aussi. Ces femmes sont réelles, les étales, les textiles, tout est réel. Cependant quand je regardais ces boutiques des rues de Kaboul, c’était toujours l’histoire des femmes et les objets faits des mains des femmes que je pouvais voir, même si tous les acheteurs étaient des hommes. En Afghanistan, en tant que femme, mon frère ou mon mari aurait dû m’acheter les choses que je voulais, comme les tissus des ces étales. Les femmes fabriquent le textile, les hommes l’achètent pour les femmes. Prendre des photos de femmes devant ces magasins est une mise en scène. L’espace d’un instant, grâce à mon imagination, la scène prenait vie et devenait réelle.
Est-il difficile de parler de la question des femmes en Afghanistan ?
Après la guerre civile, beaucoup de choses nous ont été enlevées en Afghanistan, même des choses colorées et positives de notre héritage et notre histoire. Dans un autre projet, on peut y voir de magnifiques textiles et bijoux, il s’agit de pièces du patrimoine fabriquées par des femmes. Les femmes ont créé le patrimoine culturel, c’est aussi une histoire de femmes. Lorsqu’elles posaient devant mon appareil photo, il y avait de la honte, résultat d’un code de conduite particulier que j’ai pu trouver en Afghanistan. La société nous impose de nombreuses restrictions, même si j’en ai connu dans ma vie. Je viens d’un milieu très religieux et traditionnel ; il n’est donc toujours pas facile pour moi de me dévoiler face caméra. Je ne suis toujours pas à l’aise avec mon corps.
L’Afghanistan est un État d’hommes. Dans mes projets photographiques, j’ai eu beaucoup de problèmes avec la publication des photos de ces femmes, même avec le processus de discussion avec elles. Se tenir devant l’appareil photo est déjà très compliqué pour ces femmes.
En racontant l’histoire de ces femmes, en racontant ces histoires inédites, je peux leur donner une voix. En tant qu’artiste et activiste, je pense que j’ai la responsabilité de raconter les histoires capturées par ma photographie. La vie des femmes est passée sous silence avec les talibans, mais j’ai au moins capturé ces dernières années de liberté.
J’ai des regrets. Si j’avais eu plus de temps et de liberté, j’aurais pu faire plus.
Pourquoi tu as choisis de représenter ces femmes par le portrait?
Les portraits sont plus intimes, je veux donner mon point de vue sur l’histoire des femmes. Le portrait me permet d’aller plus loin et d’interroger par exemple l’identité de mes modèles qui est celle de femme. Ce que je veux montrer c’est que ces modèles ne sont pas Pachtounes, des Hazaras ou Tadjiks mais femme. Être une femme peut être mon identité, être afghane peut être mon identité, et être iranienne de cœur peut être aussi mon identité. Je mélange ces identités. Dans cette série sur les montagnes de Zahhâk à Bamyan, le modèle est tadjik de Badakhshan et porte des textiles hazaras dans une région hazara. Le rouge du textile est une réponse au génocide des Hazaras.
Dans mon travail, on peut voir de belles femmes dans les rues, mais il y a plus à raconter. Leurs histoires sont centrales en raison du contexte afghan. Je suis Hazara, mes yeux en amande font de moi une cible. Les ethnies ont des problèmes entre elles, en particulier les Pachtounes, qui pensent que l’Afghanistan est pour eux, que les Hazaras sont des Mongols et que les Tadjiks sont du Tadjikistan. Ce n’est pas un problème facile. Dans une de mes séries, j’ai mis une Hazara à côté d’une Pachtoune, et ces photos m’ont valu beaucoup de haine. Au premier coup d’œil, vous ne pouvez pas comprendre, la véritable narration est plus profonde.
Tu es en exil, déconnectée de tes racines et de tes identités, comment fais-tu ?
J’ai commencé mon projet photo en 2015 à Téhéran, malheureusement, il est resté inachevé après la chute de Kaboul et j’ai été forcée de partir d’Afghanistan dans un avion militaire américain. Je ne pouvais pas croire qu’un jour je serais forcée de quitter mon pays comme l’ont fait mes grands-parents. Cependant, je continue de travailler, j’ai une bourse du Ministère français de la culture. Dans un contexte de guerre, l’exil est un choix facile, mais c’est un fardeau très lourd à porter.
J’ai pris cinq photos de femmes en exil pour finir mon projet de 2015. Les femmes en exil racontent la beauté, la résilience, l’espoir et la féminité. J’ai trouvé une nouvelle façon de raconter mon histoire et celle des autres. Vous pouvez même voir que la couleur de mes photos a changé, je ne pouvais pas trouver les couleurs de l’Afghanistan.
J’ai maintenant du mal à accepter ce nouveau mode de vie, même si j’ai eu beaucoup d’opportunités et rencontré des gens extraordinaires. L’exil est triste. Les premiers mois, je pleurais dans les rues. Aujourd’hui, je veux changer le cours des choses. En fin de compte, ce n’est toujours pas chez moi.
Tu es ton propre modèle maintenant ?
Oui, majoritairement des autoportraits. C’est un grand changement pour moi. Je n’ai pas fait beaucoup d’autoportraits publics.
Dans ma nouvelle série, je me représente avec des gants et un chapeau Hazara, le seul que j’ai pu emporter après la chute de Kaboul. Je suis maintenant mon modèle. Je trouve ici des choses qui me ramènent en Afghanistan, des petites choses. Je retrouve l’Afghanistan dans la musique de mon père, dans sa playlist. Mon dernier projet est lié à une musique Hazara jouée par mon père. Dans ma nouvelle série, je ne peux toujours pas regarder l’appareil photo.
Quels sont tes prochains projets ?
Aujourd’hui, je n’ai plus aucun lien physique avec mon projet principal, et c’est pourquoi je veux arrêter de travailler sur le concept de l’Afghanistan. J’ai commencé de nouveaux projets avec des femmes à la fois en Asie et de la région MENA. Il s’agit toujours de raconter des histoires d’héritage, de racines et de connexions. Ce sera un défi. En fin de compte, c’est la même chose que pour les femmes afghanes, dans un autre contexte : il s’agit toujours de femmes.
Fatimah Hossaini est lauréate du Prix Habib Sharifi x Société Nationale des Beaux-Arts en 2023.